Se réveiller à 7h, faire un passage rapide aux toilettes, s'habiller, avaler un thé et un pain au lait, se brosser les dents, s'emparer de ses clefs, ne pas oublier son foulard et son stylo, vérifier qu'on est présentable dans le miroir, enfiler sa blouse. Mon rituel du matin n'admettait aucune variable. Mon trousseau à la main, je fermai la porte de mon petit appartement, avant de prendre la direction de l'université.

L'infirmerie était une petite pièce au rez-de-chaussée de l'université. Proche du hall d'entrée pour des soucis d'accessibilité, elle était souvent fréquentée par des jeunes gens en quête d'excuses. Je ne comptai pas les hommes venus faire leur cour: sûrement à cause de mon jeune âge, les étudiants se sentaient à la hauteur pour sortir avec moi. Sans vouloir être vexante, je n'ai peut-être que 28 ans, mais je ne suis pas non plus prête à passer mon temps privé avec des gamins qui n'ont même pas fini leurs études, non mais oh!
Légèrement agacée, je sortis la clef du local et entrepris d'ouvrir la porte. J'espérais avoir une journée tranquille et sans remous: mon polar me faisait de l’œil depuis le fond de mon sac. Sac que je posais sur le petit bureau en face de la fenêtre, avant de faire l'inventaire des armoires: Doliprane et autres paracétamol se battaient en duel avec les réserves d'insuline et d’épinéphrine. Ce n'était pas une réserve très glorieuse, mais tout de même largement suffisante pour soigner les sportifs égratignés qui préféraient venir ici plutôt qu'à la pharmacie.

Comme tout était en règle, je plaçai une clochette contre la porte pour me signaler l'arrivée d'un blessé avant de m'installer confortablement sur un des lits, équipée de mon livre "Le point faible de 10 000 personnes". Je l'ouvris à la page où je l'avais laissé la veille au soir, quelques instants avant la révélation du coupable, priant pour que personne ne vienne me déranger avant la fin de l'intrigue.

Fatigué. Absolument fatigué.
Épuisé par mon installation dans le campus j'avais dû mal à garder les yeux ouverts. Les paupières lourdes, les pupilles incapables de se concentrer sur quelque chose sans que cela devienne flou. Les lunettes n'arrangent rien, elles me fatiguent plus que tout.
Bien, il est temps que j'arrête de me traîner avec les yeux fermés, je vais finir par rentrer dans quelqu'un. Et ça causera des problèmes. Problèmes égalent explications, explications impliquent de la fatigue. C'est pas le moment.
Il faut que je trouve un endroit où me reposer. Où je pourrais reposer mes pauvres paupières.
Le seul endroit où il devrait il y avoir un lit est l'infirmerie. Mince, ces endroits sentent toujours le malade et puis c'est blanc, aseptisé, une infirmerie.
Bon, j'arrête de faire la fine bouche. En espérant que l'infirmier (on dit toujours infirmière, pourquoi ?) soit sympathique.
Allez.

"Excusez moi...."

Plongée dans ma lecture, je faillis ignorer le tintement du grelot. En même temps, quel idiot pouvait bien décider de venir à l'infirmerie au moment où j'allais apprendre le mobile du crime! C'est exaspérée que je me levai du lit, réajustai mon foulard et tirai le rideau qui me masquait au malade.
En face de moi se tenait un jeune homme maigrelet, au teint si pâlot que je me demandais s'il n'était pas un peu anémique. D'ailleurs, il ne semblait pas très réveillé... A tous les coups, il venait ici pour squatter un lit pendant quelques heures sans retourner jusqu'à l'internat.
Je trouvais ces étudiants "malades" un peu abusifs, mais bon... Ils étaient les patients qui me dérangeaient le moins, donc je les tolérais sans mot dire.

Lâchant un soupir, je tentai de former un sourire aimable avant d'accueillir ce jeune homme.
"Bonjour. Qu'est-ce qu'il vous arrive?"

Cette infirmière était plutôt atypique. Bien qu'étant toujours une infirmière.
Plus grande que moi (bien plus grande ce qui est assez déstabilisant, je me sais de taille moyenne, mais tout de même.), d'origine africaine certainement de part son teint des plus sombres et des yeux profonds, qui malgré le sourire semblaient me foudroyer.

"Bonjour, désolé de vous déranger... Je... Euhm..."

Il m'était quelque peu compliqué de soutenir ce regard, et je sentais déjà mes pommettes devenir roses. Fichu teint ! Et puis entre nous, mon explication était quelque peu bancale pour venir squatter un de ces lits... Zut..

"Je me sens un peu fatigué, y'aurait-il moyen que j'emprunte un lit pour un moment ... ?"

J'avais en face de moi un vrai gamin. Il semblait diminuer de taille au fur et à mesure, par timidité peut-être. Les gens timides m'ont toujours agacée. Pourquoi ne pouvaient-ils pas dire ce qu'ils pensaient, comme tout le monde? C'est pourtant pas très compliqué. Un grand sourire et un "Va te faire voir" permet de renvoyer la plupart des gens un peu lourd en toute simplicité. Mais la moitié des humains de cette planète n'arrivaient même pas à sourire! Alors dire ce qu'ils pensaient... J'ai bien peur que ça n'arrive jamais.

Emprunter un lit? Bien sûr, je n'ai aucun problème avec ça. Par contre, son excuse me semblait un peu bidon... Mais bon, je suis infirmière, je me dois de soigner les malades, pas de les juger. Même si je ne pouvais m'empêcher de froncer le nez en lui répondant.

"Bien sûr, il y a deux lits de libre. J'aurais besoin de ton nom et de ta classe pour le registre, après ça tu peux aller te coucher et dormir à ta soif."

Je lui tendis le registre de l'infirmerie que l'administration me forçait à tenir et profitai de ce qu'il écrivait son nom pour aller refaire le lit sur lequel j'avais lu. Adieu petit confort, adieu tranquillité: j'allais devoir apprendre la mobile du meurtrier avec des ronflements en accompagnement.

Toujours ce regard des moins sympathiques... C'est pas que je cherche à devenir ami avec l'infirmière mais je préfère éviter les ennuis et avoir quelqu'un qui me déteste dès le début de l'année on va pas dire que c'est le meilleur démarrage possible...
Elle fronça le nez légèrement avant de me répondre, encore un signe que je devais vraiment l'ennuyer !

-Bien sûr, il y a deux lits de libres. J'aurais besoin de ton nom et de ta classe pour le registre, après ça tu peux aller te coucher et dormir à ta soif.

-Ah, merci

Elle me tendis ce fameux registre et je commençais à le compléter.
Ça m'étonne qu'il y ai besoin d'un registre... Je pensais qu'a l'université nous étions quand même plus libres de nos allées et venues dans cette infirmerie... Définitivement, la prochaine fois j'irai à l'internat !
Alors, nom, prénom, classe... je pense que c'est bon !

-Voilà madame. Bonne lecture. dis je en voyant le livre qu'elle tenait à la main.

En disant cela je m'enfouissais sous les couvertures pour me reposer un moment.

Bonne lecture, qu'il me dit! Tss, ça me dérange en pleine intrigue et ça se permet de me souhaiter une bonne lecture?

Je reposai le registre sur le bureau en y jetant un coup d'oeil. Noah Wishaw... Je me demande bien de quelle origine c'est, Wishaw. La consonance semble anglaise, mais le gamin avait une physionomie qui se rapprochait plus de l'Asiatique que du British... Perturbants sont les effets de la mondialisation.
Le nez de ce Noah dépassait à peine des couvertures quand je tirai le rideau qui séparait mon bureau des lits. Je m'installai sur ma chaise à roulette (je déteste ça, ces chaises à roulettes. C'est peut-être pratique pour les bureaux où il faut se déplacer assis, mais j'aurais nettement préféré une chaise fixe pour me poser tranquillement sans avoir à m'inquiéter de rouler toute seule dans mon bureau... En plus, il n'y a même pas de frein sur ces objets idiots! Tss.) et commençai à feuilleter mon livre.

L'histoire se passait dans un village abandonné où un groupe d'amis dormait lors d'une excursion. L'un d'entre eux se faisait tuer dans ce qui semblait être une chambre close, et tous les amis cherchaient désespérément le coupable.J'en étais au passage où la tueuse avouait son crime et expliquait pourquoi et comment. Ce n'était pas un livre particulièrement bien écrit, mais assez amusant à lire. Et puis j'étais vraiment curieuse de la technique utilisée pour provoquer cette chambre close: l'auteur semblait avoir une bonne imagination.
C'est donc assaillie par la curiosité que je repris ma lecture, priant pour que plus rien ne la perturbe jusqu'à la fin.