chien errant

Larve.
C'était le seul mot qui parcourait l'esprit de Kell quant à lui-même depuis quelques putain de longues, très longues minutes. Si longues qu'il avait l'impression que ça faisait une éternité qu'il était dans cet état, et que ça ne s'arrêterait pas de si tôt, malgré ses efforts qu'il déployait pour penser à autre chose. Ses vêtements qui lui collaient à la peau, les graviers qui avaient élu domicile dans ses baskets et son tee-shirt troué, le goût âcre du sang qui gouttait encore, lui semblait-il, dans sa gorge, la peau à vif qui semblait le brûler...

Dix-sept heure trente-deux, dernier regard de Kell sur l'écran son portable. Il attendait un gosse à la sortie de son école pour diverses raisons, la meilleure étant que ce gamin était son frère cadet par adoption, et que sa mère l'avait envoyé chercher. Il s'est fait voler son manteau mardi dernier, j'ai peur que ça recommence, avait-elle chuchoté à l'oreille de Kell pour le convaincre que ce n'était pas par pur caprice maternel. Il était donc au rendez-vous, et s'était mis en tête que le premier type louche qui approcherait d'Olean -toujours d'aussi bonnes idées de prénoms décidément, cette mère- serait le type sur lequel Kell passerait ses nerfs. Olean ressemblait à une petite fille aussi, Kell lui avait dit que s'il le voulait, il pourrait lui apprendre à se défendre, mais son petit frère était bien l'opposé de son aîné : tout ce qui touchait à la violence, il n'y touchait justement pas. Il était doux, calme, tranquille... A croire que Kell n'avait vraiment eu aucune influence sur Olean. Quelque part, ça lui plaisait d'avoir à se montrer protecteur envers son cadet. Mais, honneur oblige, il ne pouvait pas se permettre de laisser voir qu'il tenait à ce gamin qui lui ressemblait si peu.
Il était devant son école, à attendre qu'Olean n'en sorte, lorsqu'il aperçu deux grands types qui rigolaient tout bas en se mettant à suivre un gosse, qui lui sembla autre qu'Olean certes, mais un gosse quand même. Partagé entre l'envie d'aller les calmer et le devoir d'attendre Olean, il s'en prit frénétiquement à ses ongles, qu'il rongeait en situation de stress. Décidé, il prit les deux types en filature. La petite, affolée, s'était mise à courir, son trop gros sac à dos la balançant de droite à gauche, risquant de lui faire perdre l'équilibre. Kell interpella les deux types qui s'étaient mis à lui courir après, ce qui les arrêta doucement pour prêter attention à ce grand mec qu'était Qaeli Kath, du haut de son mètre quatre-vingt-six. Sans réfléchir davantage -ce que Kell ne savait pas faire quand son sang se mettait à bouillir-, il poussa l'un des deux types de la paume et leur lança un regard noir. Eh, vous êtes quel genre de mauviettes, pour vous en prendre à des gosses de dix ans ? Ca vous dit pas de vous en prendre à quelqu'un de votre poids ? avait-il craché d'un sourire sarcastique avant de se faire pousser à son tour. Il ne fallait pas grand chose pour enflammer un brun d'herbe sec, et Kell savait parfaitement qu'en provoquant ainsi les deux gars, il en aurait pour ses poings. Il les traita de gros cons, de lâches, de tapettes, puis de midinettes -il savait ce qui faisait mal à son égo et ne se privait pas d'utiliser ce genre de choses pour lancer une bagarre-, ce qui réussit à en énerver au moins un, qui leva un poing, donnant le signal d'ouverture des hostilités. Kell adorait se battre, vous l'aurez compris. Il n'était pas spécialement fort, mais assez bourrin, et la vivacité acquise aux combats contre les chiens errants l'avait sauvé plus d'une fois. Engouffrés dans une sorte de ruelle puante, ils enchaînaient les coups de poings, les coups de pieds, les coups bas et les coups traîtres. Du deux contre un, ce n'était pas forcément évident, mais Kell était persuadé qu'il pourrait s'en sortir sans trop d'inconvénients. Et au pire, c'était un combat de rue ; quelques égratignures, c'était rien comparé à ce qui attendait ces deux types. Kell était quand même un peu trop sûr de lui, et s'il ne laissa pas ses deux ennemis vierges de sang, et de futures séquelles, ses méthodes de chien enragé ne lui suffirent malheureusement pas.

Dos contre un mur crasseux jusqu'auquel le chien s'était difficilement traîné, entre deux trois poubelles qui embaumaient délicatement les environs, Kell fixait le vide, attendant que la douleur ne se dissipe, ou que les deux pauvres types reviennent avec d'autres mecs pour le finir, c'était une possibilité à envisager. Il puait la transpiration et le fer, ses restes de fringues collaient à sa peau, la lui arrachant quand il faisait le moindre geste. Malgré tout, il était assez satisfait de lui-même, sur le plan combatif ; s'il avait un peu mieux géré le défensif, il s'en serait mieux sorti, mais en attendant, savoir qu'il avait foutu une raclée à deux cons presque aussi forts que lui -Kell n'était clairement pas résolu à s'avouer vaincu, quelque soit l'état dans lequel il sortait d'un combat- le comblait au plus haut point. Il sourit de satisfaction quelques centièmes de seconde durant, une des plaies sur son visage s'étant étirée, lui arrachant un faible gémissement de douleur. Ne sentant plus ni ses mains, ni ses jambes, il se contenta d'un murmure, entre l'amusement et la honte d'être en si lamentable posture :

- Larve...

Elle court, elle court encore et encore vers cette illusion qui la maintient encore debout. Depuis son arrivée ici, la douce De Faia cherche en vain une raison à cette offrande que lui offre l'île. En effet, la demoiselle, n'est pas d'ici, elle y est arrivée par hasard, c'était un caprice du destin. Un simple caprice qui lui a pourtant donné la possibilité de recommencer une nouvelle vie.

Dans son ancienne vie, autant qu'elle s'en souvienne, Arya était le genre de personne que l'on considérait comme « bizarre », « étrange », enfin, tous les termes assez péjoratifs pour décrire quelqu'un qui assume d'être légèrement différent face à société trop monotone aux yeux de la poupée blonde. Avec ses grands yeux bleus, ses mimiques et son « style », la jeune femme avait pour habitude d'attirer toutes sortes de regards, des plus curieux aux plus moqueurs, en passant par ces regards envieux, aussi rare soient-ils. Néanmoins, ici, elle n'avait jamais rencontré ces regards, pas un qui lui donne envie de s'enfuir, de se faire toute petite, non aucun regard. Le plus surprenant, fit qu'ici, elle pût rencontrer des personnes beaucoup plus impressionnante que sa propre personne, ce qui lui donna un sentiment de confiance que madame n'avait jamais éprouvé auparavant.

Dernière sonnerie, fin des cours, il était temps voilà ce qui résonnait dans sa petite tête à cet instant. La jeune adulte, avait repris les bancs de la fac pour avoir quelque chose dans la main dans son futur proche, quelque chose qu'elle pourrait brandir fièrement à son « nouveau soi », même si la difficulté était présente à chaque instant, Arya ne relâchait pas ses efforts, comme une fille modèle oui. Or, ce soir ce n'est pas devant ses cahiers qu'elle allait passer sa soirée mais bien à la déchetterie. La déchetterie, ce genre de lieux où l'on dépose des vieux objets qui étouffent le peu d'espace présent chez soi, ces objets que l'on pense « mort » comme si l'objet lui-même avait une conscience. Pourquoi une fille comme elle irait dans une déchetterie, c'était assez évident pour Mademoiselle De Faia. La jeune femme voulait récupérer certains objets abandonnés afin de leur donner une seconde vie, car oui, tout le monde a le droit à une seconde vie après tout même eux. Il arrive qu'avec rien on finit toujours par avoir quelque chose dans les mains, c'était ici sa vision des choses, une vision que peu de personnes comprenaient autour d'elle.

Alors qu'elle arborait le quartier menant à la déchetterie, élançant son corps de porcelaine, la belle en profita pour se faire un chignon rapidement, ce qui finalement ressemblait plus à un sac de nœuds qu'à un quelconque chignon. Mademoiselle en profita même pour retirer ses escarpins en plein milieu de la rue, la pauvre enfant commençait à avoir sérieusement mal à la plante de ses pieds, c'est ça que de vouloir être grande, de vouloir avoir une silhouette mieux dessiné grâce aux talons mais finalement la jeune femme finissait toujours par les retirer quand celle-ci en avait marre sans prévoir une seconde paire de chaussures, ce qui la força en quelque sorte à marcher à même le sol découvrant alors le plaisir du goudron sous ses pieds. Tout cela était ironique bien sûr, la sensation n'était vraiment pas agréable, elle regrettait déjà d'avoir enlevé ses chaussures, mais il était maintenant trop tard, la demoiselle fit face à la déchetterie.

Enfuyant ses chaussures au fond de son sac, la jeune Arya pénétra alors dans « le royaume des objets » voilà comment elle s'amusait à nommer ce lieu, ça lui prenait de temps en temps de donner un surnom à quelqu'un, quelque chose, même à elle-même. Ce côté un peu bizarre d'elle-même qui ressortait dans ce dernier cas. Enfin passons, ses yeux balayèrent l'endroit d'un coup d'oeil bref et rapide, l'objet devait l'attirer, comme un coup de cœur, mais ce qui l'attira était différent, ce n'était pas là un coup de foudre pour une chose mais plutôt une stupéfaction devant ce qu'elle avait à présent dans son champ de vision. Il s'agissait d'un homme, d'un semi-homme, quelque chose comme ça en tout cas l'apparence de celui-ci n'était vraiment pas belle à voir. Des séquelles de partout, ce corps lessivé, affaiblit, bon Dieu qu'avait-il fait à son corps. La possibilité d'un « règlement de comptes » trottait dans sa caboche, quelqu'un c'était vraisemblablement acharné sur le corps de l'individu, et une quelconque hémorragie interne pouvait être envisageable, vu l'état de celui-ci. Dans un premier temps, il fallait vérifier que la personne à l'origine de cela ne soit pas dans les parages, ne savait-on jamais si celui-ci décida de prendre la jeune femme par surprise. Deuxièmement, voir si l'état du garçon était sévère ou non et puis finalement la demoiselle finirait par appeler tout bonnement les urgences. Trop de bonté en elle, néanmoins, elle sauta la première étape de son « plan » s'approchant de l'homme tout en fouillant dans son sac si mademoiselle n'avait pas une mini-trousse de secours, même si la réponse était non. A part un pansement coincé entre deux livres, Arya n'avait rien pour s'en occuper elle-même. C'est donc la seconde option qui allait intervenir, parce que oui, la douce avait toujours un plan B, du moins la demoiselle l'imaginait de suite quand son plan A était inutile. C'est comme ça que la blonde était à présent face au garçon, le regard rivé dans ceux de l'inconnu, elle semblait plutôt calme, s'inquiétait ne servait à rien. La femme entrouvrit alors ses lèvres, laissant sortir une ribambelle de sons qui formèrent des mots.

- Vous m'entendez ? Je vais appeler une ambulance, ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité.

Balivernes, en sécurité avec elle, pas vraiment, mais de cette façon, Arya pensait le rassurer. Avec sa posture, ses pieds nus, et son sac de nœuds, la jeune adulte ne donnait pas l'impression d'être rassurante et pourtant à choisir, la blonde aurait préféré se faire confiance à elle-même qu'à quelqu'un de trop banale. Mademoiselle afficha un léger sourire aux coins de ses lèvres pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas une « méchante personne », avant de chercher son téléphone dans son sac sans fond. Chercher un pansement semblait plus simple que de trouver le seul objet utile dans ce genre de situation.

La nuit tombait doucement, le vent se faisait de plus en plus frais. Il fallait se résoudre à bouger. Allez, lève-toi. Kell, merde, lève-toi. Il tenta de s'appuyer sur son bras le moins endolori, mais il soupira rien qu'en constatant que la force sur laquelle il comptait n'était même pas capable de le soulever d'un petit doigt. Il pesta. Il allait devoir attendre un peu, ou bien se forcer. Se forcer. C'était ce que ferait un vrai mec, alors il allait le faire. Après tout, il avait bien réussi à se cacher là, à se traîner jusque dans cet endroit putride et moribond. Il compta mentalement jusqu'à trois, concentrant ses dernières forces dans ses jambes. Le dos appuyé contre le mur, il parvint à se redresser un peu. Mais se lever et marcher, c'était bien trop dur pour le moment. Il se laissa retomber. Sa tête bascula contre le machin à sa droite. Certainement une benne à ordures. Bah, ça de plus ou de moins, on n'était plus à ça prêt n'est-ce pas ? Il repensa aux deux types qui l'avaient amoché. Deux contre un. Tch, ces types étaient faibles. Au un contre un, Kell n'aurait rien eu. Mais faut pas trop en demander aux gens maintenant. Etre des types bien, c'est trop pour eux. Finalement, il avait quand même évité le racket d'une gamine, c'était pas si mal. Il espérait qu'elle était bien rentrée chez elle... Il sursauta en pensant à Olean. Et lui ? Techniquement, Olean devait être rentré. Il l'espérait du moins. Oh merde, sa mère allait le démonter si elle apprenait qu'il l'avait laissé pour aller casser la gueule à deux pauvres types. Mais en même temps, elle aurait fait quoi, à sa place ? Question stupide : elle aurait attendu Olean et envoyé quelqu'un d'autre mater ces cons. En même temps, il la voyait mal se battre, sauf armée de son rouleau à pain à la limite... La prochaine fois, il prendrait sa batte de base-ball, pour aller chercher son frère. Comme ça il se ferait pas emmerder, et puis il aurait une bonne excuse à donner aux flics, s'ils le voyaient avec.

- Non mais je vais protéger mon frère, rit-il en s'imitant parler aux policiers avec un air de soumission qu'il ne se connaissait pas mais qu'il associait volontiers à tous ces mecs qui jouaient les gros durs et qui repartaient la queue entre les jambes et la tête basse quand on les grondait.

Il rigola encore un peu tout seul, pour éviter de se lamenter sur le sale état qui le paralysait. Il avait envie de chialer, pas de mal, plutôt de haine contre lui-même Comment se faisait-il que ce corps qu'il connaissait si bien lui refusait un ordre aussi simple que celui de "bouger" ? Il se mordit la lèvre et émit un son entre le soupir et le sanglot. Il leva les yeux au ciel, qu'il ne pouvait pas voir de là où il se trouvait, gêné par la vue des poubelles, des trucs bizarres qui s'échappait de la benne à ordures, des toits et des murs délabrés aux formes improbables. Il pesta une nouvelle fois. Il ne pouvait pas perdre contre seulement deux pauvres cons alors qu'il se faisait des chiens de rue quand il était plus jeune. C'était pas possible. Parce que les chiens, c'est plus violent que les humains quand il s'agit de tuer. Ouais mais il avait pas eu envie de tuer, Kell, il voulait juste se battre et les refroidir. La prochaine fois, il y irait sans retenue, se disait-il, pour se convaincre que quelque chose comme la Conscience l'avait retenu de frapper plus fort, de faire plus mal.

- Vous m'entendez ? Je vais appeler une ambulance, ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité.

Kell sursauta. Il s'était sûrement endormi et une voix inconnue l'avait tiré de sa rêverie. Il attendit que sa vue devienne plus précise, et essaya de lever la tête vers la jeune fille qui se tenait face à lui.

- Merde...

Il se demanda comment c'était possible de s'endormir comme ça, alors qu'il avait mal partout. Si ça se trouve, il était en train de mourir, et ne s'en était pas rendu compte. Il fut pris de panique et se mit à haleter. Il aurait pu mourir. Ca craint ça aussi. Le sang qui s'en va, son corps incapable du moindre mouvement utile, son esprit qui se brouille, ses pensées désordonnée... Il essaya brusquement de se relever, histoire de vérifier que tout fonctionnait, histoire de constater si son corps n'était plus qu'un pantin désarticulé ou bien s'il était encore maître de lui-même. Ses doigts s'agrippèrent à ce qu'ils trouvaient autour de lui, ses muscles se tendaient, se contractaient...et il parvint presque à se mettre debout, malgré ses jambes tremblantes. Il se sentait dégueulasse, collant de partout, de sueur et de sang. Se ré-adossant au mur, il se calma, calma sa respiration et son coeur paniqué, les yeux fermés. Il se rendit compte qu'il avait plus mal que lorsqu'il était "assis". L'accoutumance à la douleur sûrement. Il rouvrit les yeux pour regarder la fille qui était plus grande que ce à quoi il s'attendait quand il la voyait du sol. Elle avait de longs cheveux blonds. Une peau immaculée. Une voix trop douces pour être réelle... En fait, il était déjà mort et il faisait face à...

- Tu... T'es quoi...?

Il ne pouvait se résoudre à prononcer le mot "ange", trop peur que la fille fasse comme dans les films : qu'elle secoue doucement la tête avec un sourire et lui dise "je suis venue te chercher" ou quelque chose comme ça. Il sentit la panique remonter.

- Je veux... Je veux clairement pas crever hein... J'ai...merde...

Il songea à son petit frère. Qui est-ce qui le défendrait s'il n'était plus là pour le faire ? Qui est-ce qui lui apprendrait à se battre ? A draguer ? A attraper les souris à la main ?

Un bâton de rouge à lèvres, un calepin de note, une mandarine et... Ses magnifiques chaussures mais toujours aucun signe de son foutu téléphone. Excédée, Arya décida de renverser son sac, tous les objets que contenait celui-ci embrassèrent le sol les uns après les autres, et puis bingo, son portable était devant ses yeux. Finalement, la demoiselle aurait dû faire ça dès le début ça lui aurait évité de perdre du temps pour rien.

La jeune femme prit donc son téléphone entre ses doigts avant de commencer à composer le numéro des urgences sans se soucier que la personne avait encore suffisamment de force pour se relever d'elle-même. D'ailleurs cela la fit sursauter quand l'inconnu lui adressa la parole, la pauvre, elle qui s'attendait à le voir au sol voilà qu'il était debout adossé contre le mur. Était-il fou ? Fou d'utiliser le peu de force qu'il lui restait pour se mettre en équilibre sur ses deux jambes méchamment amochées par les coups que monsieur avait subis. Ou alors était-il simplement inconsciemment des gestes qu'il pratiquait, un peu comme un enfant. Dans tous les cas, Arya n'allait pas le laisser dans cette posture. Tout en prenant la peine de répondre à ses questions par pure politesse et surtout pour le rassurer, puisque les questions de l'inconnu faisaient froid dans le dos, la demoiselle passa ses avant-bras sous les aisselles de l'Asiatique tout en tenant son téléphone avant de donner une légère impulsion afin que le corps de celui-ci bascule contre le sien. Entre ses deux mouvements, la blonde réussit à placer quelques mots.

- Alors, alors... Bonsoir euh, je m'appelle Arya et je pense que je suis une humaine comme vous enfin j'en suis même sûre.

Le fameux « T'es quoi ? » avait eu don de perturber la jeune femme qui n'était même plus sûre de ce qu'elle racontait, mais à peine elle n'eut le temps de certifier ce qu'elle était qu'un bruit sourd sortit de sa bouche. L'homme ne faisait visiblement pas son poids, et un homme à demi conscient ce n'était pas fait pour une demoiselle comme Arya. Une certaine grimace s'étira sur son visage alors qu'elle essayait tant bien que mal d'allonger l'Asiatique au sol. Il était collant, plein de sueur, le sang lui dégoulinait dessus, mais ce n'était vraiment pas ce qui inquiétait la demoiselle à l'instant même. Finalement, après cinq bonnes minutes, la jeune adulte réussit à mettre le garçon au sol, maintenant, il fallait encore se souvenir de la suite, la position latéral de sécurité, bon certes le jeune homme était encore conscient du moins elle en était presque certaine, mais si par malheur le contraire devait se produire, il semblait plus judicieux de l'installer dans cette position. Une fois l'inconnu convenablement positionné la demoiselle finit par reprendre ses paroles précédente.

- Qu'est-ce que je disais déjà...

Elle réfléchit un dixième de seconde avant de finalement reprendre.

- Ah oui, je suis donc là pour vous aider, mais vous n'allez pas mourir, soyez en sûr. Je ne vous laisserai pas partir au milieu d'une déchetterie. Ni ailleurs, vous semblez si jeune encore pour mourir.

Arya n'était pas douée avec les mots comme avec le reste d'ailleurs, sa maladresse était l'un de ses pires défauts, du moins pour elle. Enfin passons, parler d'elle n'était pas le plus important pour l'instant, le jeune blessé devant elle occupait toutes les pensées de la grande blonde qui eut de nouveau oublié de composer le numéro des urgences. Le pauvre homme, elle se demandait vraiment qui avait pût s'acharner sur un humain de cette manière. L'inconnu était souffrant, sa respiration se faisait clairement entendre et le sang qui continuait de dégouliner, il fallait faire vite. C'est à ce moment présent que la demoiselle eut l'illumination de téléphoner aux urgences, mais avant cela, Arya retira son manteau avant de le poser délicatement sur le corps abîmé de l'Asiatique tout en murmurant au garçon :

- Je reviens, ne tentez pas de vous relever cette fois, sinon je finirai par vous attacher à une poubelle pour être sûr que vous ne bougerez pas.

Voilà ce qu'affirma la jeune femme de manière assez osée de dire ça à un inconnu qui plus est dans un sale état, néanmoins, Arya espérait le rassurer de cette manière. Assez spéciale mais c'était sa façon d'être au final.

Ses pensées étaient absurdes. S'il ne mourait pas dans l'instant de ses blessures corporelles, Kell serait mort de toute façon de honte. Le garçon avait beaucoup de mal à garder les yeux ouverts, il avait même du mal à rester debout. Il crut qu'il allait s'écraser contre le sol lorsqu'il sentit une force le faire vaciller vers l'avant. Mais pas de sol froid contre le visage, pas de sol froid contre les paumes de ses mains... Il entendit quelque chose, sûrement le son de la voix de la fille -il n'avait pas envie de croire qu'il s'agissait d'un ange. Impossible de comprendre quoi que ce soit. Il ne se sentait vraiment pas bien, et, penché en avant de la sorte, il croyait sentir tout ce que qu'il avait avalé remonter. Et il avait quand même l'impression qu'il allait tomber. La demoiselle ne devrait pas longtemps supporter ses quelques 76 kilos, il en était certain. Elle avait l'air bien trop frêle et ne lui avait pas donné l'impression qu'elle ait pratiqué un quelconque sport qui aurait développé discrètement sa masse musculaire. Il se sentit glisser doucement vers le sol. Il avait même usé d'un peu de forces pour aider la jeune fille à ne pas le laisser tomber par terre par inadvertance ou juste à cause de son poids en appuyant ses avants-bras contre le béton. Elle le coucha sur le côté. Kell se souvenait des cours de premiers secours qu'on avait essayé de lui donner quand il était au collège. Seulement, faire des massages cardiaques et du bouche-à-bouche à un homme tronc en plastique, ça ne l'avait pas branché, et comme ses amis ne le faisaient pas, il n'avait pas eu l'envie de se foutre la honte en étant le seul à écouter les instituteurs. Il était donc incapable d'aider qui que ce soit, mais il se rappelait de certains détails comme "mettre la victime sur le côté pour qu'elle ne s'étouffe pas", "lui parler pour qu'elle reste consciente un maximum de temps"... Il allait ouvrir la bouche pour faire l'effort de rester conscient et donc parler. Son nom, son prénom, son adresse, le nombre de chiens qu'il avait eu...son prénom...son frère...sa mère, son frère, ses chiens, son prénom... Il sentit une sorte de légère brise puis une sensation de chaud, comme si quelqu'un l'avait abrité d'une couverture. Ce que la demoiselle venait de faire, mais avec son manteau, et non une couverture. Il la regarda, il était un peu mieux depuis qu'il n'était plus obligé de demander à ses jambes de faire l'effort de le tenir.

- Je reviens, ne tentez pas de vous relever cette fois, sinon je finirai par vous attacher à une poubelle pour être sûr que vous ne bougerez pas.

Il rit un peu. L'état dans lequel il se trouvait ne lui aurait pas permis de se défendre. Pas comme contre une fille aussi mince. Puis surtout contre une fille qui voulait l'aider. Il fit doucement oui de la tête. Il n'en avait de toute manière pas la force. Qu'est-ce qu'elle allait faire...? Il la vit s'éloigner un peu, portable à la main. Evidemment. La police. Il ne fallait pas qu'elle appelle la police. Il allait encore avoir des ennuis sans ça. Après tout, c'était lui qui avait provoqué. Qu'est-ce qu'il allait leur dire ? Qu'il avait voulu défendre une gosse, et que du coup il avait embarqué deux types dans une baston ? Haha, la bonne blague, ils ne le croiraient jamais, et puis il n'avait pas de témoin. On l'accuserait d'avoir voulu régler des comptes en privé ou alors d'avoir juste voulu se battre -comme ça lui prenait souvent- et il devrait encore passer quelques jours au poste ou bien payer pour...pour son attaque...? Quelque chose comme ça, de toute façon, les flics aimaient bien Kell, dans le sens où ils le voyaient comme un pauvre type qui ne voulait rien d'autre que du sang sur ses mains et de l'adrénaline. Un parfait délinquant. Il tenta de se relever discrètement pour ne pas faire peur à la fille si jamais elle était déjà au téléphone avec les flics, histoire de lui retirer son portable sans bruit aussi... Mais c'était à peine s'il arrivait à bouger. Il grinça des dents en signe de mécontentement. Si ça se trouve, elle appelait juste l'hôpital. Mais ça irait quand même jusqu'à la police non ? Ca lui retomberait sûrement dessus en somme. Il pensa à sa mère et son frère. S'il devait se faire arrêter, ils seraient encore tous seuls, et Kell, c'était un peu l'Homme de la famille. Pas qu'il y ait beaucoup de délinquance dans les rues d'Edna, mais assez pour qu'il ait besoin d'être proche de sa famille pour qu'il la sente en sécurité. Cette pensée lui redonna un peu de force, assez pour qu'il parvienne à se lever sans trop de difficultés, et qu'il se glisse discrètement jusqu'à la demoiselle aux longs cheveux blonds. Il lui attrapa le plus gentiment possible le poignet -il avait assez de mal à se rendre compte de sa force quand il voulait agir avec délicatesse, et encore plus dans l'état actuel des choses- et lui demanda en murmurant :

- N'appelle personne...s'il-te-plait.

Ca n'était pas le moment d'oublier la politesse, et il ne voulait surtout pas lui faire peur. Il la relâcha aussitôt par crainte de l'effrayer et se recula jusqu'au mur le plus proche auquel il s'adossa pour se laisser glisser jusqu'au sol. Il imaginait bien la panique que devait ressentir la jeune demoiselle. Mais il ne voulait vraiment pas finir au poste ou à l'hôpital pour ensuite finir au poste.

- C'est que quelques...égratignures... Si tu as des pansements, ça devrait être suffisant... chuchota-t-il faute de pouvoir faire mieux.

Il observa la réaction de la fille, prêt à faire un effort pour lui enlever son portable si jamais elle insistait pour appeler les urgences ou autres. Il préférait évidemment ne pas avoir à en arriver à utiliser la violence envers quelqu'un qui lui voulait de l'aide. Mais son instinct de survie était bien plus fort que celui de soumission. Il ne voulait clairement pas passer encore quelques nuits en dehors de chez lui ou tout simplement laisser sa famille sans protection.

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