Serei regardait frénétiquement la montre qu'il sortait et rangeait dans son sac. Il connaissait par coeur le quartier qu'il parcourait actuellement, c'est d'ailleurs pourquoi, malgré le fait qu'il ne regardait jamais où il posait son pied couplé à celui de sa marche rapide, il ne tombait pas. Le meilleur dans toute cette histoire, c'était que Serei ne savait plus à quelle heure l'homme, un certain monsieur Thorbjörnson, lui avait donné rendez-vous. Il marchait donc précipitamment sans savoir pour autant s'il était en retard ou pas.
Derrière lui, Teñval suivait, non sans difficulté, et pour cause : Serei passait aisément entre deux personnes ou encore une personne et un mur, en oubliant qu'il n'était pas seul et que son timing si bien calculé ne l'était que pour lui. Il lui arrivait parfois de se retourner, se rappelant soudain qu'il était accompagné. Il lui suffisait de croiser le regard de son compagnon, de lui adresser un sourire, et Serei reprenait sa marche folle, tranchant au milieu de la foule.

Il arriva enfin face à l'entrée du karaoké "Chez Ramiro". Il s'arrêta, examina rêveusement la façade du bâtiment. Il se déplaça, se confondant en excuses, lorsque trois personnes lui firent remarquer qu'il bloquait le passage. Il hésita un instant avant de se décider à les suivre dans l'immense salle qui avait tout d'un bar, mais équipé en plus d'une scène. Serei se sentit mal rien qu'en la voyant et en s'imaginant devoir monter dessus pour chanter. Il secoua la tête et vérifia si Teñval l'avait suivi.Il ne savait même pas à quoi devait ressembler ce fameux monsieur Thorbjörnson, et se demanda comment ils allaient se retrouver. Il n'y avait pas un monde immense, mais déjà bien assez pour que Serei se sente de trop.

- C'est chouette : je ne sais pas qui je cherche, et je viens tout juste de m'en rendre compte. Je suis génial, vraiment...souffla-t-il. Je sais que c'est un homme...

Il se mit à rire, nerveux.

- ...qu'il doit avoir au moins la quarantaine, si je m'en remets à son timbre de voix. Voix plutôt forte d'ailleurs... Pas étonnant que notre homme apprécie le chant, il doit d'ailleurs être doué. Je me demande s'il est venu seul, ou avec des amis. J'imagine que ce n'est pas le genre de lieu où l'on va avec sa famille... Quoique. Pour un jeune anniversaire, l'ambiance pourrait être sympathique. Ouh, je n'aurais pas aimé que l'on m'emmène pour exhiber mes piètres qualités vocaliques... Même pour rire. Il y a bien trop de monde...

Ce disant, Serei faisait des tours sur lui-même, cherchant à repérer l'homme qu'il avait décrit.

- Je l'imagine grand, et fort, robuste. Un homme petit et frêle, avec une voix si grave, ce serait surprenant, mais pas impossible néanmoins.

Il rit de nouveau.

- Quoiqu'il en soit, je crois que je n'aurai pas le courage d'aller lui parler, alors j'espère qu'il nous repérera le premier et qu'il ne sera pas timide au point d'attendre de nous ce que j'attends de lui...!

Serei me promène dans les rues paisible de la ville. Il n'y a pas grand monde à cette heure-ci. D'ailleurs, il me semble qu'il n'y a jamais grand monde. Mon nouvel ami gambade devant, l’œil fixé à sa montre. Il semblerait presque qu'il m'ait oublié, ce qui m'amène à me demander pourquoi diable je le suis si docilement alors que je tiens en horreur les lieux comme les karaokés. Ça grouille de gens trop heureux de pousser la chansonnette. D'aucuns diront que je ne suis pas drôle. Eh bien non, j'suis pas un comique, rien qu'un grincheux complètement flippé par la populace.

On arrive devant l'enseigne du-dit karaoké et je sens la nervosité gagner du terrain dans mon petit univers du dedans. C'est simple, ma gorge pique, et je me sens gauche et inadapté. Je coule un regard en direction de Serei qui semble lui aussi rester bloqué devant la porte. Des personnes s'approchent et nous font comprendre qu'on les gêne. Je grogne quelque chose qui, à l'origine était une excuse mais n'en est finalement plus une dès lors que l'idiote qui m'a bousculé me gratifie de son meilleur regard de pouffe-qualifiée. Histoire d'asseoir mon charisme, je lui perfore le dos d'un regard noir.

- C'est chouette : je ne sais pas qui je cherche, et je viens tout juste de m'en rendre compte. Je suis génial, vraiment...souffle-t-il. Je sais que c'est un homme...

Tout de suite, j'me sens vachement rassuré. Que demande le peuple ? C'est un homme, c'est déjà une bonne information. Je me gifle mentalement pour avoir encore cédé à ce penchant râleur.

- ...qu'il doit avoir au moins la quarantaine, si je m'en remets à son timbre de voix. Voix plutôt forte d'ailleurs... Pas étonnant que notre homme apprécie le chant, il doit d'ailleurs être doué. Je me demande s'il est venu seul, ou avec des amis. J'imagine que ce n'est pas le genre de lieu où l'on va avec sa famille... Quoique. Pour un jeune anniversaire, l'ambiance pourrait être sympathique. Ouh, je n'aurais pas aimé que l'on m'emmène pour exhiber mes piètres qualités vocaliques... Même pour rire. Il y a bien trop de monde...

Est-ce qu'il me parle vraiment ou bien se contente-t-il de penser à voix haute ? Toujours est-il que notre homme se dessine peu à peu dans mon imagination florissante. J'essaye de l'imaginer : quarantaine, grosse voix et chanteur des salles de bains ? Un remake du père noël, deux mille ans de moins.

- Je l'imagine grand, et fort, robuste. Un homme petit et frêle, avec une voix si grave, ce serait surprenant, mais pas impossible néanmoins.

Il tourne sur lui-même, à la recherche de son homme métamorphe. A force d'hypothéquer l'apparence de ce mystérieux gars, on ne sait plus qui regarder.
Y'a un petit gros, dans le coin à gauche, qui semble se passionner d'avantage pour les rondeurs pectorales de sa voisine que pour le petit feuillet qui propose le choix des boissons.

- Quoiqu'il en soit, je crois que je n'aurai pas le courage d'aller lui parler, alors j'espère qu'il nous repérera le premier et qu'il ne sera pas timide au point d'attendre de nous ce que j'attends de lui...!

J’acquiesce d'un air détaché, absorbé par la mission que je me suis fixé. Mon regard furète d'une tête poilue à l'autre, mais aucun ne convient à la description que m'a donné mon esprit.
J'allais abandonner, quand mon regard se pose, ou plutôt, se heurte à une montagne rouge-orangée. Larges épaules, broussaille bouclée et d'épaisses mains qui doivent distribuer des baffes colossales. Je me gratte le côté de la tête, envois un coup de coude dans les côtes de Serei (pas trop fort, hein) et interpelle le géant.

- Euh OH !

Merveilleux, Teñval. Comment accoster un inconnu de la façon la plus médiocre qui soit, leçon numéro 1.

- Mr Montagne ?

Comble de la connerie, je m'embourbe dans ma connerie. J''espère qu'il n'est pas susceptible. Je déglutis péniblement en repensant aux vingt kilos que constituent respectivement chacune des mains de l'armoire à glace rousse.
Je me tourne vers Serei pour quêter dans son regard un minimum de soutien.