Serei avait décidé de partir à l'aventure, de quitter son petit terrain de sport pour se lancer dans la quête du mystérieux machaon bleu.
Il savait que c'était un papillon, bleu, mais il avait dû faire des recherches à la bibliothèque pour savoir vraiment les caractéristiques de ce papillon qui avait donné son nom à la forêt. Il savait aussi que la forêt regorgeait d'insectes et d'animaux plus ou moins dits dangereux. Mais il en fallait plus pour effrayer un Serei déterminé.
Le Machaon était un insecte diurne, Serei s'était levé particulièrement tôt, avait pris un petit train en direction de la banlieue, puis l'avait quitté pour suivre un petit chemin de terre qui le mènerait au plan d'eau de la forêt, pour avoir un maximum de chance de croiser l'insecte apparemment rare, sans avoir besoin de sortir de la forêt pour se reposer. Il s'était armé d'une carte, pour éviter de se perdre, de son habituel sac à dos, d'une bouteille d'eau, de trois-quatre petits sandwichs fait main, d'une boussole... Il avait pris son portable aussi, bien qu'il doutât de son utilité une fois dans la forêt. Serei ne savait pas comment marchait le réseau de l'île, et comme la technologie ne l'intéressait que peu, il n'avait pas pris le temps de se renseigner à ce sujet. Serei était, de manière générale, quelqu'un qui n'avait que faire des ordinateurs et autres machins qui fonctionnaient en binaire. C'était un rêveur, et se cantonner au 01110010100101, très peu pour lui.

Après quelques longues heures d'escapade, Serei trouva bon de se poser au bord du plan d'eau que lui avait indiqué la carte. Il s'installa gracieusement sur un petit tas d'herbes un peu humide, disposant entre elles et lui sa veste ôtée à cause de la température élevée. Il sortit l'un de ses deux sandwichs restants -il n'avait pas pu s'empêcher de manger les deux autres dans le petit train-, et le fit disparaître en moins de deux. Serei était ce que l'on appelle communément un goinfre. Il le savait, et ne s'en cachait pas. Pour quelles raisons devrait-il le faire ? Il n'avait aucun complexe, hormis celui de ne pas être doué en relations sociales. Et encore. Il se voyait très bien passer le restant de ses jours seul. Malheureusement, le basket étant un sport d'équipe, il lui fallait bien quelques amis.

Soudain, un bruit, une sorte d'agitation dans la forêt, le genre à faire s'envoler tous les oiseaux perchés jusque là tranquillement sur leur branche. Serei lève la tête, pris de panique, tout en restant visiblement très calme. Les choses ne se voyaient pas beaucoup dans les attitudes du garçon, il était plutôt du genre à tout intérioriser. Il pouvait ainsi paraître très calme et être en réalité victime d'un lourd et long débat mental. Heureusement, ce genre de choses arrivait rarement, Serei n'était pas du genre à pousser la réflexion bien loin.
Il finit par se lever doucement, hésitant. Ses jambes tremblèrent, mais il ne s'en soucia pas. Il fit un pas en direction de la provenance des bruits de branches qui avaient craqué. Il y avait beaucoup de sons étranges à vrai dire. Entre autre celui du bois, des battements d'ailes affolés, mais aussi quelque chose de plus lourd, comme quelque chose qui s'accrochait aux arbres. Serei n'avait jamais entendu parler d'un monstre habitant la forêt, ni même d'une quelconque rumeur pouvant effrayer. Il n'eut pas peur donc en se mettant à courir pour s'enfoncer entre les arbres.

Il jetait des regards curieux tout autour de lui, se demandant s'il finirait par trouver la source de tout ce carnage, lorsqu'il vit des morceaux de ce qui ressemblait à du tissu, pendre des arbres hauts. Il suivit des yeux les lambeaux, et sa vue rencontra alors un corps humain, allongé au sol. Sans plus y réfléchir, il courut en sa direction.

- Eh ! Vous allez bien ?!

Il tomba, genoux à terre, à ses côtés, osant à peine toucher le corps qui lui semblait inerte. Ses mains hésitaient. Si jamais la femme était encore en vie, il ne souhaitait pour rien au monde être coupable de l'avoir mal déplacée et d'avoir brisé sa colonne vertébrale, ou autre scénario de film catastrophe. Il se pencha pour vérifier si la femme respirait encore, tendant son oreille au-dessus de son visage. Elle respirait. Doucement, mais elle respirait. Soulagé, Serei posa son sac à côté de lui, en sortit la bouteille d'eau et aspergea le visage de la fille de quelques gouttes, pour voir si elle allait se réveiller.

- Ne vous en faites pas, mademoiselle, vous n'êtes pas seule... Je vais trouver un moyen pour vous sortir de là...

Il se rappela qu'il avait pris son portable, s'en saisit et tenta d'appeler les urgences. Evidemment, le réseau ne passait pas dans la forêt. Evidemment...
Il reposa le portable dans son sac, débarrassa le visage de la blessée des bouts de feuilles, branches et de toutes les poussières qui y étaient tombées. Il n'osa cependant pas la faire bouger. Cette même peur de mal faire et de se retrouver avec une conscience non paisible pour faute.

- Je m'appelle Serei Smera. Serei comme un cerf et... Oh, Serei, tout simplement. Ne vous prenez pas la tête avec des bêtises. Vous m'entendez ? Je suis étudiant, pas en médecine malheureusement, ni en secours médical. J'ai juste appris les gestes des premiers secours, mais si je n'arrive pas à joindre qui que ce soit, je doute que cela me soit suffisant. Quoi qu'il en soit, mademoiselle, je ne vous laisserai pas, je vais trouver un moyen pour vous amener à l'hôpital. Vous m'entendez ? Vous pouvez bouger ? Vous avec mal quelque part ? A la tête peut-être, je devrais me taire... mais l'on m'a toujours appris à parler pour garder la victime consciente. Je sais parler, c'est déjà un point, et j'aimerais bien que vous me répondiez, je me sentirais moins démuni, et j'aimerais bien que vous ne mourriez pas ici, ce serait dommage, il y a plein de choses superbes à voir ici...

Serei sursauta, surpris, lorsque la jeune fille se recula d'un coup, comme dans un film d'horreur. Elle attrapa une branche et la tendit vers ce qu'elle devait prendre pour son agresseur.

- N'approchez pas !

Les deux se dévisagèrent pendant ce qui sembla une éternité à Serei. Elle avait l'air apeurée. Et c'était compréhensible.
Serei tenta d'imaginer le scénario qui avait pu amener cette femme à s'écraser sur le sol, apparemment à l'aide d'un parachute, s'il devait en croire les ficelles qui pendaient ici et là, puis les bouts de tissus. Elle avait dû chuter de bien haut pour pouvoir déployer son parachute avant de toucher le sol. Elle devait donc venir de "l'extérieur". Par hélicoptère ou avion.
Serei fut pris d'un frisson à ce raisonnement. Il comprenait. Il comprenait tellement bien, la peur, les réactions extrêmes.
Il leva ses bras et se mit debout pour montrer qu'il n'avait pas d'arme à portée de mains.

- Je ne vous veux aucun mal, vous devez être blessée, je veux vous aider... Il faut qu'on sorte de cette forêt, je n'ai pas vraiment le temps de tout vous expliquer, mais je pense que vous avez eu un accident, et vous devez vous reposer pour comprendre...ce qui vous entoure...?

Serei se mordit la langue. Il n'était vraiment pas doué pour parler.

- Venez, enfin...Vous voyez bien, je n'ai rien de menaçant, je suis un étudiant, il faut sortir de cette forêt, il y a des serpents, des araignées, des sangliers, et certainement plein d'autres créatures qu'il serait bon de ne pas rencontrer...

Serei se demanda s'il avait été convainquant. Il commençait à craindre que le soleil ne disparaisse et qu'ils doivent tous deux passer la nuit à l'ombre des arbres et proies aux bêtes qui animaient ces lieux. Serei savait comment effrayer les serpents, il avait vu des émissions de survie à la télévision, avant. Mais pour les araignées, il ne se souvenait de rien. Et de toute façon, ces petites bêtes à huit pattes lui donnait des frissons.

- Je... Hum hum.

La voix de la jeune femme le tira de ses pensées, il releva la tête.

- Dis-moi... Tu veux bien m'aider à me relever? Je ne peux pas le faire moi-même. Je...

Il poussa un discret soupir de soulagement lorsqu'elle accepta son aide. Il s'empressa de venir à ses côtés pour la prendre doucement par le bras avec lequel elle avait brandi sa branche quelques instants plus tôt.

- Je m'appelle Vini. Vini Milot.

- Serei Smera, répéta-t-il machinalement.

Il la souleva, lui permettant de s'appuyer sur son dos, se penchant en avant légèrement, puisque la demoiselle était plus petite. Il s'assura de bien la soutenir et commença à marcher doucement, pour ne pas risquer de lui faire mal. Il avait peur qu'elle ne se soit cassé quelque chose en tombant, ce qui était plus que probable d'ailleurs.

- Sinon, ça t'arrive souvent de tomber du ciel ?

Il rit faiblement, se donna quelques gifles imaginaires pour se punir de son très mauvais humour à l'instant présent.

- Oublie, je suis un peu paniqué, je suppose que c'est ce qui me fait dire plus ou moins n'importe quoi. Je me dis que tu as quand même de la chance que j'aie décidé d'aller à la chasse au papillon aujourd'hui."Chance" est évidemment un bien grand mot, tu aurais pu tomber -nouvelle gifle pour le choix du vocabulaire- sur quelqu'un de plus expérimenté que moi, un médecin, un paysan, un pompier, un infirmier...ou même ne pas avoir d'accident du tout... Enfin ! Je vais arrêter de dire n'importe quoi, même si je pense que c'est le mieux à faire pour que tu ne perdes pas conscience... En tout cas, tout ira mieux lorsque nous serons sortis de la forêt : je pourrais aller chercher du secours sans avoir peur que tu ne te fasses manger par des ours polaires, et on nous ramènera à la ville pour que tu puisses te faire soigner...

Sa voix faiblissant petit à petit, Serei se rendit compte de la désolation de la jeune fille, de son désespoir et de la colère qui devait l'animer à ce moment-là. Elle n'avait pas l'air très aimable, mais Serei ne s'en était pas formalisé, bien qu'il se sentit tel un idiot, à débiter tout ce qui lui passait par la tête.

- Hé! Au lieu de parler, tu je voudrais pas te montrer utile? Au cas où tu ne l'aurais pas vu, j'ai plusieurs doigts cassés. Ma jambe gauche m'est complètement inutile, et je saigne d'un peu partout. Alors, si nous agissions plutôt que de blablater ? Sors-moi de cette forêt. C'est tout ce que je te demande. T'as pas un portable ? Histoire d'aller plus vite et d'appeler les secours ?

Serei secoua la tête, approbatif. Il ne pouvait pas dire non, de toute façon, et il se disait que si la fille se montrait aussi dure avec lui, c'était sûrement à cause de la panique, qu'elle semblait quand même magnifiquement canaliser. Serei s'imagina que la demoiselle devait être habituée aux situations extrêmes, même s'il était difficilement envisageable qu'elle ait déjà vécu un tel naufrage.
Le garçon sortit son portable de sa poche, le tendit avant de se rappeler que de toute manière, le réseau ne passait pas ici. Il pouvait tout aussi bien appeler à l'aide, peut-être que des voyageurs plus forts que lui s'aventuraient dans les environs et seraient aptes à les aider à sortir de là. A vrai dire, Serei n'était plus sûr de l'endroit où il était. La panique l'avait gagné, bien malgré lui, et les semblants d'airs qui se voulaient réconfortants s'effaçaient lentement de son visage.

- Je peux aller chercher des gens, là, et revenir, mais je ne...suis pas sûr de vous retrouver, si jamais je partais, et ce serait un comble que d'aller chercher de l'aide et de ne jamais revenir. Ou plutôt de ne jamais vous...

Il se tut, croisant le regard froid de la blessée. Que perdait-il, à tenter d'appeler de l'aide, du son de sa voix, après tout ? Il essaya donc, et sa voix porta bien plus loin qu'il ne s'en serait cru capable. Ainsi, il appela une fois, deux fois, trois fois...quelqu'un, n'importe qui, juste quelqu'un qui pourrait les aider à s'en sortir.
Il avait l'impression d'être au coeur de ces films américains qu'il détestait tant, ces films X, comme on dit, avec une situation catastrophe clichée, et des réactions en chaîne toutes aussi clichées. Il n'aimait vraiment pas ça.
Lorsqu'il s'arrêta d'appeler, il guetta, tout autour de lui, cherchant à déceler un fait non naturel, qui lui montrerait qu'il avait été entendu.
Une autre voix surgit alors de nulle part, répondant d'un "où êtes-vous ?".
La voix de l'homme tira un sourire à Serei : ils étaient sortis d'affaire !

La voix de la jeune fille résonna, puissante, couvrant de loin celle de Serei, qui s'en sentit fort désolé et embarrassé :

- Oh ! On est là ! Par ici !

Elle se coupa un instant, instant durant lequel Serei baissa les yeux au sol, de peur de se pendre un éclair qui jaillirait soudain de ceux de sa congénère blessée. Elle semblait reprendre son souffle, avant de relancer, de plus belle :

- On est ici ! Par ici !

Le garçon sentit un lourd regard signifiant se poser sur lui alors qu'il était en train de compter les petits gendarmes qui se pressaient sous les feuilles rougies par la boue du sol humide de la forêt dans laquelle il s'était perdu en pensant faire un joli voyage durant lequel il rencontrerait bien des animaux, plus ou moins agressifs certes, mais des souvenirs, voilà ce qu'il était venu chercher en s'aventurant sur ces terres. Mais la fille qu'il était venu secourir était certainement l'animal le plus dangereux qu'il aurait pu croiser en ces contrées sauvages. Et il n'était pas certain que cette aventure lui procure un quelconque bien être lorsqu'il y repenserait, dans quelques années, au coin d'un feu de cheminée.
Serai releva doucement les yeux, pinça sa lèvre inférieure en regardant la demoiselle pas vraiment en détresse. Serei ne se sentait pas vraiment pitoyable, mais plutôt détestable. Ou si, pitoyable, aux yeux de Vini, et pour une première fois depuis des années, il se sentit tout à fait en droit de laisser "son prochain" se débrouiller. La bonne conscience de Serei allait contre cet avis, évidemment, mais le petit diable de son autre épaule le poussait à abandonner la fille à son sort et à se débrouiller seule avec l'autre homme qui viendrait la sauver.
Non, Serei, c'était la panique qui la mettait dans cet état, Vini ne devait pas être dans son état normal.
Il s'apprêta à appeler de nouveau, plus fort qu'il ne l'avait fait précédemment, mais un homme apparut d'entre les arbres.

- Vous avez besoin d'aide...? s'essoufflait-il.

Serei se redressa, et montra la jeune fille du doigt.

- Elle a besoin d'aide, je crois qu'elle est tombée du ci-...d'un avion, et elle est blessée...

L'homme regarda Serei quelques secondes, peut-être s'en méfiait-il, bien qu'il n'y ait pas de quoi se méfier de ce frêle jeune homme, puis s'agenouilla auprès de Vini pour l'examiner de plus près.