Il faisait vach'ment beau dehors, y'avait quelques grandes traînées blanches de nuages qui v'naient habiller le ciel tout bleu, et puis pas loin, la lumière du soleil qui traversait les fenêtres de la salle, et qui donnait une ambiance de sieste à la classe vide.
On allait bientôt avoir des examens sur les échanges internationaux, la grosse blague. C'est pas comme si ça allait m'servir un jour. J'savais pas pourquoi j'étudiais le commerce, et ces conneries, puisque j'quitterais jamais cette île. D't'façon, on allait avoir des contrôles, 'fallait bien que j'travaille. Et comme j'avais séché les trois-quatre derniers cours, j'étais là, affalé sur une table pas loin de la fenêtre, à r'garder le ciel qui me narguait l'air de dire "t'avais qu'à bosser avant, tu s'rais pas là à rien foutre en attendant ton pote". Ouais. Et il avait bien raison d'se foutre de ma gueule, ce con.
J'jouais avec la lumière, la regardant passer entre mes doigts, changer la couleur de ma peau. Y'avait des endroits où elle était tellement fine, et comme y'avait pas de muscles ou de matière vraiment, qu'elle en dev'nait rouge. J'essayais de voir si j'pouvais par transparence apercevoir mon os, en tirant un peu sur mes doigts et la peau pour qu'elle soit encore plus fine. Mais j'y arrivais pas, alors p't'être que la lumière était pas assez forte, ou alors c'était pas possible.
Le bruit de la porte qui s'ouvrit me fit sursauter, j'me cognais le dos du crâne contre le rebord de la fenêtre et m'retrouvais à la case départ : face contre la table, poussant des jurons, insultant ce putain de rebord de mes deux, puis Louis qui m'avait fait bondir. Je donnais un coup de paume au bureau et me massais là où il y aurait prochainement une putain de bosse avec mon autre main.

- T'es con Louis merde ! Tu m'as fait flipper !

Je rel'vais doucement la tête pour pas me prendre un nouveau coup et ne vis pas Louis, mais quelqu'un que je ne connaissais pas, ou p't'être de vue seulement. Je toisais l'inconnu de la tête aux pieds, sans rien ajouter. J'devais sûr'ment passer pour un abruti, mais j'allais pas m'excuser alors que j'm'étais mangé une fenêtre par sa faute.

Serei, fatigué de chercher une place libre à la bibliothèque, s'était résigné à aller s'installer dans une salle de cours vide. A cette heure là de l'après-midi techniquement, il ne devait plus rester grand monde dans les couloirs de cette université.
Il avait eu beaucoup de problèmes ces temps-ci, à suivre les cours. A cause sûrement de son esprit qui aimait vagabonder au milieu des feuilles des arbres fraîchement verdis plutôt que d'écouter sagement ses professeurs parler de poteries et de vases datant d'une époque de loin révolue. C'est pourquoi il avait décidé, à quelques semaines des partiels, de réviser sérieusement dans un endroit calme qui prêtait au sérieux. La tentation du terrain de basket aurait été trop forte si Serei s'était aventuré à proximité, il y avait beaucoup trop d'agitation à la cafétéria -sans compter qu'il n'avait pas osé y retourner après le cadeau de Julien-, il y aurait sûrement ses deux colocataires dans sa chambre, et enfin il savait qu'il y aurait au moins autant voire plus de population dans les cafés à cette heure-ci de la journée et que ce n'était donc pas la peine d'aller y jeter un oeil.
Le long des couloirs qu'arpentait Serei était les plus silencieux qu'il avait connu jusqu'à ce jour. Très certainement parce que Serei se promenait rarement dans l'école en dehors des moments où il allait en cours. Passant à côté des portes des salles de classe, Serei jetait des coups d’œil furtifs pour voir si elles étaient occupées ou pas. Malheureusement, quand elles n'étaient pas occupées, les salles étaient fermées. Sans doute pour des raisons de sécurité. Lorsqu'il arriva à en ouvrir enfin une, il se félicita de ne pas s'être découragé. Il entra dans la pièce et aperçu un garçon, penché sur sa table, en train de geindre.

- T'es con Louis merde ! Tu m'as fait flipper !

Serei se retourna, dès lors que le garçon interpella un certain Louis. Il pensa trouver derrière lui quelqu'un dont le prénom aurait été celui-ci, mais il n'y avait personne dans son dos. Il se tourna vers le garçon et se désigna du doigt, avant de se dire que cet étudiant l'avait certainement pris pour un autre, c'était des choses qui arrivaient.
Il regarda le garçon en attendant qu'il dise quelque chose comme "ah pardon, je t'ai pris pour quelqu'un d'autre", mais il ne semblait pas enclin à dire quoi que ce soit qui ressemblât à des excuses. Serei s'avança un peu.

- Excuse-moi, je peux venir travailler ici, ou...?

Il tenait fortement la bandoulière de son sac avec sa main droite, se sentant présence dérangeante. Il ne fit cependant pas demi-tour : il avait cherché assez longtemps avant de trouver une salle, et il espérait vraiment que cet autre étudiant, malgré la peur que Serei lui avait faite, le prierait de ne pas s'en faire et de rester. Bon, il était évident que le garçon ne le "prierait pas de rester", mais il serait aimable qu'il ne l'envoie pas chercher un autre endroit pour travailler.

Le type se tourna pour regarder derrière lui, comme si j'm'étais adressé à quelqu'un d'autre. Enfin ouais, j'm'étais adressé à quelqu'un d'autre, mais il avait bien dû s'rendre compte qu'il était seul là. J'soupirais en m'tournant vers la table, et gratter le bois avec mon ongle.

- Excuse-moi, je peux venir travailler ici, ou...?

Je me redressais et jaugeais l'adversaire en me demandant s'il attendait vraiment une réponse ou pas avant de s'asseoir. Visiblement, il semblait pas vouloir bouger avant que j'donne mon avis. J'me penchais en arrière sur mon siège et croisais les bras derrière ma tête, toujours en le regardant. J'me demandais combien de temps il resterait debout à m'regarder en attendant que j'lui réponde, et si j'devais en croire son air presque suppliant, la réponse aurait été "longtemps".
Ce mec faisait très "bon élève", le genre à être un bon fils à papa maman. Il se tenait plutôt bien, il était clair'ment poli. A sa place j'me serais assis et relevé cinq ou six fois en faisant plein de bruit avant de r'partir, juste pour faire chier l'andouille qui m'faisait poireauter inutilement. Mais nan, il restait là, sage, à attendre. Quand j'étais gosse, j'me rappelle avoir pris mon pied à faire chier les gamins dans son genre. Docile, il dirait rien et il me f'rait rien non plus si j'passais à côté de lui en le bousculant ou en lui foutant un coup pour qu'il tombe. J'avais passé l'âge de c'genre de conneries, mais j'mentirais en disant que ce mec me donnait pas des remontées de violence. Je pestais devant son immobilité de petit garçon poli.

- Oui tu peux travailler ici, j'suis pas l'directeur de la fac...ou j'sais pas quoi d'autre...

Je tournais les yeux vers la fenêtre, pour voir si l'autre abruti allait bientôt arriver ou non. J'le r'tiens, avec ses cours particulier. Même pas foutu d'arriver à l'heure.
J'entendais l'autre tirer une chaise, poser son sac, l'ouvrir. Ce gars f'sait exprès de faire du bruit ou bien c'était moi qui dev'nait complètement parano parce qu'il me soulait même à cinq mètres de moi ?!

Le garçon avait un comportement pour le moins étrange. Serei était en train d'attendre que l'autre lui réponde, se disant qu'il n'avait peut-être pas parlé assez fort, voire pas parlé du tout, malgré l'impression d'avoir entendu sa voix résonner à l'extérieur de sa tête. Serei s'exprimait peu fort quand il se sentait de trop, et il pensait du coup, à force qu'on ne l'entende pas, parler dans sa tête seulement, sans que les mots ne franchissent ses lèvres.
Comme l'asiatique le regardait quand même, il choisit de rester silencieux. Peut-être était-il en train de peser le pour et le contre. Peut-être avait-il pris cette salle vide pour plusieurs personnes, et Serei ne faisait évidemment pas partie de ces personnes, puisqu'il ne connaissait pas le garçon. Peut-être aussi qu'il n'osait pas dire non. Parce que peut-être que sous ses airs de racaille, le jeune homme était en réalité quelqu'un de poli et gentil.
Serei se rappelait qu'à l'école primaire, il y avait une fille comme ça, qui parlait plutôt mal, avec des accents vocaux assez horribles à l'oreille. Cette même fille n'avait que des amis qui ressemblaient à cet asiatique en face de lui, en plus jeunes évidemment. Et il s'avérait que ces jeunes enfants étaient en réalité de vrais anges, passés les préjugés et les peurs qu'ils pouvaient créer au milieu des autres enfants. C'était pour le coup une sorte de carapace, quelque chose pour les protéger des autres. Pour impressionner, en somme. Et il se disait donc que ce garçon qui se tenait là, face à lui, se balançant sur sa chaise et le jaugeant depuis quelques minutes qui lui semblaient terriblement longues, était sûrement du même genre que ces enfants. Maquillé pour faire peur, mais seulement pour faire peur.

- Oui tu peux travailler ici, j'suis pas l'directeur de la fac...ou j'sais pas quoi d'autre...

Serei faillit ouvrir la bouche pour reprendre sa respiration, mais trouva cet acte mal convenu. Il ne voulait pas davantage froisser l'asiatique, acquiesça donc et tira une chaise non loin de la porte, au cas où il devrait partir à la venue de plusieurs personnes. Serei le vit se tourner vers la fenêtre. Il guettait sûrement l'arrivée du dénommé Louis, en fin de compte.
Serei sortit ses affaires, les déposa sur sa table, retira sa veste, l'accrocha sur le dos de son siège, attrapa une liasse de feuilles froissées par le mauvais maintien de son sac, grimaça, et finit par vider tout le contenu de son sac sur la table, parce qu'il n'arrivait pas à mettre la main sur un stylo.
Après avoir remué ciel et terre de son sac et de sa veste, il jeta un œil à l'asiatique, toujours penché à sa fenêtre. Ce garçon n'était sûrement pas aussi agressif que ses airs en laissaient l'impression, essaya de se convaincre Serei. Il ressemblait très fortement à ces jeunes enfants plus tôt évoqués. Oui, c'était le même modèle. Presque.

- Excuse-moi...? se risqua-t-il, bien décidé à travailler. Tu n'aurais pas un stylo à me prêter s'il-te-plaît ? Je crois que j'ai laissé le mien en cours, en fait... Je ne vois pas sinon. Je l'ai peut-être fait tomber en rangeant mon sac. Je ne suis pas très ordonné aussi, et pourtant j'essaye. Mais on m'a dit une fois que nos affaires était le reflet de notre mental : ça doit bien être en désordre, là-haut, rit-il en désignant son front. Je m'appelle Serei, au fait. Serei Smera. Au cas où je perdrais ton stylo, que tu puisses me retrouver pour m'en demander un nouveau. J'ai la mémoire courte, il faut dire. Enfin non, mais bizarrement oui quand il s'agit des autres. Les gens doivent penser que je suis égoïste du coup, alors que je ne pense pas que ça en soit le cas. Mais peut-être que c'est contre ma volonté et que donc je suis bel et bien égoïste... Mais j'ai invité à boire un ami récemment, et j'ai payé, donc je ne suis pas égoïste. Bien que l'égoïsme ne se résume pas qu'à ces petites choses, j'en ai bien conscience. Je me demande si le fait d'arriver en retard est une preuve d'égoïsme... On ne pense pas assez à l'autre, et du coup on le fait attendre plus qu'il ne l'aurait dû. Généralement, ce n'est pas très agréable pour celui qui attend. "Il m'a encore oublié", se dit-il en se promettant qu'il se vengera la prochaine fois qu'ils fixeront un rendez-vous...

Il se tut un instant, le temps de reprendre ses esprits.

- Je crois que j'ai divagué, je...ça m'arrive souvent... Pourquoi est-ce que je...ah oui, le stylo. Est-ce que tu en as un s'il-te-plaît ? Je ne t'embêterai pas davantage...

J'commençais à avoir mal à la tête, avec tout l'vacarme que faisait l'autre imbécile dans mon dos. Il pouvait pas s'contenter de prendre un stylo, une feuille, et d'écrire ? Non, fallait qu'il se la joue Mary Poppins, et me sorte tous les trucs plus gros les uns que les autres qui se trouvaient dans son bordel de sac.

- Excuse-moi...?

Je soupirais et me tournais vers lui. J'allais lui d'mander ce qui allait pas, mais il fut plus rapide que moi :

- Tu n'aurais pas un stylo à me prêter s'il-te-plaît ? Je crois que j'ai laissé le mien en cours, en fait... Je ne vois pas sinon. Je l'ai peut-être fait tomber en rangeant mon sac. Je ne suis pas très ordonné aussi, et pourtant j'essaye. Mais on m'a dit une fois que nos affaires était le reflet de notre mental : ça doit bien être en désordre, là-haut. Je m'appelle Serei, au fait. Serei Smera. Au cas où je perdrais ton stylo, que tu puisses me retrouver pour m'en demander un nouveau. J'ai la mémoire courte, il faut dire. Enfin non, mais bizarrement oui quand il s'agit des autres. Les gens doivent penser que je suis égoïste du coup, alors que je ne pense pas que ça en soit le cas. Mais peut-être que c'est contre ma volonté et que donc je suis bel et bien égoïste... Mais j'ai invité à boire un ami récemment, et j'ai payé, donc je ne suis pas égoïste. Bien que l'égoïsme ne se résume pas qu'à ces petites choses, j'en ai bien conscience. Je me demande si le fait d'arriver en retard est une preuve d'égoïsme... On ne pense pas assez à l'autre, et du coup on le fait attendre plus qu'il ne l'aurait dû. Généralement, ce n'est pas très agréable pour celui qui attend. "Il m'a encore oublié", se dit-il en se promettant qu'il se vengera la prochaine fois qu'ils fixeront un rendez-vous...

J'sais pas si j'étais stupéfait, interloqué, choqué, blasé, j'savais pas. J'savais juste que j'regardais ce type -j'avais pas saisi son nom, au milieu de toutes ces informations-, les yeux grands ouverts. J'crois qu'j'étais bouche-bée aussi. Un débit de parole aussi long, bordel, j'crois qu'même Louis parlait moins quand il nous expliquait ses trucs mathématiques et compagnie. Ouais, j'crois que j'avais jamais vu ça d'ma vie, tout compte fait.

- Je crois que j'ai divagué, je...ça m'arrive souvent... Pourquoi est-ce que je...ah oui, le stylo. Est-ce que tu en as un s'il-te-plaît ? Je ne t'embêterai pas davantage...

J'ravalais ma salive. J'avais la gorge super sèche, mais en même temps, sa salive à lui, fallait bien qu'il la trouve quelque part. C'mec c'était un peu un vampire. Mais il volait pas l'énergie des gens, mais leur salive. Crade.
J'étais même pas sûr de ce qu'il me demandait en plus, tellement il avait jacté. Et sonné. Ouais, sonné : le gars, il t'assomme d'un monologue. Normal. Heureusement qu'il avait pas une voix à couper au couteau, j'serais mort à l'heure qu'il est.

- Putain mec, on t'a jamais dit qu'tu parlais trop ?

Je secouais la tête de gauche à droite, les sourcils levés, les bras écartés, comme pour lui dire "moi je suis cette main, toi t'es l'autre, tu vois pas qu'un fossé nous sépare ? J'comprends rien à c'que tu baves".

- C'est flippant, limite impressionnant, mais pas impressionnant dans l'bon sens du terme.

J'me demandais s'il existait un mauvais sens au terme "impressionnant". J'pensais pas, mais j'm'en foutais, peut-être qu'il y trouverait un sens lui, vu comme il carbure.

- Tu dois être vachement bon en exposé, j'parie qu'les gens se battent pour t'avoir dans leur équipe, tellement tu causes... Oh bordel...

J'me retournais vers la fenêtre pour guetter Louis. Mais toujours aucun signe de vie. En même temps, vu l'heure qu'il était, s'il se pointait maintenant, ce s'rait moi qui l'finirais.

- Putain mec, on t'a jamais dit qu'tu parlais trop ?

Effectivement, on avait souvent fait cette remarque à Serei. Mais il s'était quand même excusé, en disant qu'il avait divagué, pourtant.

- C'est flippant, limite impressionnant, mais pas impressionnant dans l'bon sens du terme. Tu dois être vachement bon en exposé, j'parie qu'les gens se battent pour t'avoir dans leur équipe, tellement tu causes... Oh bordel...

Serei pensa que l'autre garçon irait lui chercher l'un de ses stylos, après toutes ces désagréables remarques, et qu'il se présenterait à son tour. Il le regarda, sourire aux lèvres, guettant un geste. Mais apparemment, l'asiatique n'allait rien lui offrir d'aide, il était même retourné à la contemplation de l'extérieur, laissant Serei dans l'attente, sans moyen pour travailler.
Serei regarda les feuilles éparpillées sur son bureau, dépité. Peut-être que le garçon l'avait trouvé désagréable. Sûrement en fait, vu sa réaction plutôt violente. Serei avait simplement voulu se montrer gentil, poli, puis amical, surmontant ainsi ses peurs de la sociabilité et sa timidité, pas forcément apparente, mais néanmoins présente. Ses mains osseuses survolèrent les copies à moitié griffonnées, et se décidèrent à en faire des tas. Serei ne savait pas s'il devait rester, ou si sa présence dérangeait vraiment, et il attendait une illumination, qui lui dirait donc s'il devait quitter les lieux ou s'y imposer.

- Je suis désolé, je ne fais pas toujours attention, je parle, et au fur et à mesure, la pensée me submerge et...

Il s'arrêta pour ne pas s'enfoncer davantage. Il parlait toujours trop mais il ne pouvait s'en empêcher, ça lui permettait de ne pas réellement s'impliquer auprès des autres. Avec un pareil flot de paroles, il finissait toujours par enfouir le plus important très loin pour laisser place à la futilité. Mais ça, il le faisait inconsciemment, il était beaucoup trop simplet pour s'en apercevoir. Il n'était pas méchant mais il parlait tellement que parfois les autres l'évitaient. Ou au contraire, profitaient de sa présence pour se servir de comble vide dans les conversations. Heureusement, c'était un sympathique personnage qui n'exaspérait pas au point de lui flanquer des torgnoles. Aussi espérait-il que le garçon sans stylo n'allait pas l'agresser. Il était un grand pacifiste, pas un grand diplomate certes, mais une sorte de Gandhi bavard. Mais le principal problème n'était pas résolu, il avait besoin d'un stylo et le jeune gaillard n'avait pas l'air d'en avoir le moins du monde. Ou même tout simplement avait-il renoncé à le lui donner après l'avoir entendu parler. Serei s'en voulait un peu d'être aussi emporté et spontané. Tout le monde n'était pas sensible à ces traits de caractère, apparemment.

La tête dans mes bras croisés sur la table, je guettais d'un œil l'arrivée de Louis, même s'il me semblait qu'à l'heure actuelle, rien ne me servait d'espérer. Cet imbécile fini m'avait sûrement oublié. Et c'était bas de passer mes nerfs sur le pauvre mec qui était arrivé au mauvais endroit au mauvais moment.
Je tournais la tête vers lui, le vis rassembler ses feuilles en tas. J'crois qu'à sa place, je me serais barré. Ou j'aurais cherché la bagarre, pour changer. Mais j'voulais être plus intelligent. Et pour commencer, j'ferais mieux de bouger mon cul.

- Je suis désolé, je ne fais pas toujours attention, je parle, et au fur et à mesure, la pensée me submerge et...

J'avais eu peur qu'il me re-balance un long blabla d'excuses. Tentant d'éviter une suite qui serait certainement sortie de sa bouche si je ne m'étais pas activé, je levais mon postérieur, attrapais ma veste, et fis un pas vers lui.

- Laisse tomber.

Sourire. Pour essayer de lui montrer que j'lui en voulais vraiment pas, et qu'il se sente pas coupable, et qu'il me ressorte pas un monologue. J'me penchais en avant, pour regarder la paperasse qu'il avait devant lui. Je plissais les yeux en essayant de lire ses cours à l'envers, juste pour savoir ce qu'il étudiait, mais c'était pas fructueux, sachant qu'j'avais déjà les yeux plissés de base. Je relevais la tête et constatais que le garçon me regardait, les yeux ronds comme des billes. J'devais avoir l'air bizarre ouais. J'comprends... Mais... j'l'effrayais à ce point ? Il tire une de ses moues quand il a l'air paniqué en fait. C'en est presque... Ouais, non, Kell. Ta gueule. Ou arrête de penser.
Je me tourne pour faire quelques pas vers la fenêtre. J'peux pas trouver quelqu'un de plus mignon qu'mon frère, surtout pas un mec. Non, bon, il a des yeux de biche, j'y peux rien si j'trouve ça mignon, merde.

- Tu t'appelles comment sinon ? Moi c'est Kell, j'sais plus si on s'est présentés, j'm'en rappelle pas.

- Laisse tomber.

L'asiatique s'était levé et posté devant Serei, qui se demanda s'il allait l'inviter à boire un verre. Pourquoi cette interrogation ? Il n'en avait aucune idée, mais Serei était d'un naturel optimiste, et il pensait qu'en chaque homme veillait un bon fond, et donc, il avait espoir que le garçon s'excuse de son comportement, bien qu'il doutât qu'il reconnaisse ses manières un peu brutales et animales. Bœuf. C'est l'animal qui lui vint à l'esprit à ce moment là.
Serei regarda le garçon plisser ses yeux sur ses copies, s'interrogeant sur le pourquoi de la chose. Il évita de se réjouir à l'idée que l'asiat' cherchait un moyen de nouer un dialogue, tout en se rassurant sur l'idée qu'il n'était pas en train de chercher de quoi l'enfoncer encore plus dans sa niaiserie plus qu'apparente. A la vue des hématomes sur la peau basanée du garçon, Serei se l'imagina violent. Il déglutit discrètement, se forçant à garder un minimum de sourire et avoir l'air agréable, poli, bien élevé... Tout ce qu'était Serei en somme.
Serei sursauta lorsque le garçon fit volte-face, pour se ré-avancer vers la fenêtre qu'il venait fraîchement de quitter.

- Tu t'appelles comment sinon ? Moi c'est Kell, j'sais plus si on s'est présentés, j'm'en rappelle pas.

Surpris, Serei resta un moment sans voix, et, lorsqu'il ouvrit la bouche, se répétant qu'il avait eu raison de croire qu'en tout un chacun reposait une âme bonne et gentille, la porte de la salle s'entrouvrit, et une voix inconnue en surgit :

- Xcusez-moi ! Sauriez-pas où j'peux trouver le secrétariat là !

Les yeux de Serei glissèrent jusqu'à la porte, pour apercevoir le visage d'un homme, plus âgé que lui jugea-t-il d'abord, avant de se dire qu'il l'effrayait, avec ses yeux bleus, et son espèce de sourire dérangeant. Serei déglutit de nouveau. Ne sachant plus où donner de la tête, il choisit de répondre aux questions dans l'ordre dans lequel elles lui avaient été posées. Se tournant de nouveau vers le dit Kell, il sourit :

- Je m'appelle Serei...

Il baissa les yeux sur ses copies éparses et décida de les ranger, ne sachant pas où se trouvait le secrétariat ; il ne voulait pas induire l'homme en erreur en lui indiquant l'infirmerie par inadvertance. Il adressa quand même un vague sourire à l'inconnu qui lui faisait de plus en plus peur.

Je me grattais le dos du crâne en attendant une réponse. Et lorsqu'il ouvrit la bouche, une voix inconnue en sortit.

- Xcusez-moi ! Sauriez-pas où j'peux trouver le secrétariat là !

Le garçon tourna la tête vers la porte, l'air aussi surpris que je devais l'être, et je me dépêchais d'en faire de même. Un mec trop chelou se tenait dans l'entrebâillement de la porte, nous regardant avec un sourire tout aussi chelou. Sa tête me disait vaguement un truc, j'devais l'avoir croisé plusieurs fois dans la rue, ou alors dans la fac... J'sais pas trop, mais ça d'vait pas être au musée, vu sa tronche. Et aussi parce que j'allais pas au musée non plus.

- Je m'appelle Serei...

Cette fois, c'était pas la voix du gars qui souriait à la porte, et elle m'était familière. J'en conclus que l'autre garçon s'était finalement présenté, sûrement pour éviter de répondre à l'autre type. Il faisait flipper en plus. Mais comme...Serei, je crois, avait pas l'air de vouloir lui répondre, j'en pris l'initiative :

- Dans l'couloir réservé à l'administration...

Je m'étais retenu de lui lâcher un regard plein de mépris et un ton condescendant. Croyais-je mais, me remémorant ma phrase et en me visualisant la dire, je me rendis compte que j'avais pas fait dans la dentelle, et qu'il allait croire que je l'avais pris pour un abruti. C'en était le cas. Mais c'était pas l'moment de me chercher des noises, alors j'aurais préféré savoir m'abstenir. Je repris, en me frottant les yeux d'une main et en traçant un chemin sur une carte invisible devant le mec :

- C'est sur la droite en entrant dans le bâtiment principal de l'université, la...troisième porte sur la gauche, ou la quatrième, j'sais plus. Ferb, putain, c'est écrit sur la porte au pire, tu sais lire, nan ?

Je tournais la tête vers Serei qui me signifia d'un regard que j'avais été un peu dur. Ou peut-être qu'il avait juste peur, mais ce mec aussi, c'était pas mieux que msieur Perdu, il avait pas un pet de muscle dans le corps.

- Dans l'couloir réservé à l'administration...

La réponse de Kell tira un sourire à Serei. Il n'aurait pas à répondre et à passer pour un rêveur abruti par les nuages au-dessus desquels reposait si souvent sa tête. Néanmoins, la réponse de l'asiatique s'était plus apparenté à un soupir qu'à une aimable réponse courtoise, et Serei se pinça la lèvre en imaginant l'autre garçon s'emporter pour ce manque de délicatesse ; à vrai dire, l'étranger n'avait pas l'air plus net que Kell...

- C'est sur la droite en entrant dans le bâtiment principal de l'université, la...troisième porte sur la gauche, ou la quatrième, j'sais plus. Ferb, putain, c'est écrit sur la porte au pire, tu sais lire, nan ?

Pourquoi est-ce que Kell s'énervait ? Serei fronça un peu les sourcils en le regardant. Ce dernier tourna la tête vers lui, comme pour vérifier s'il avait employé un langage convenable et correct. Ce à quoi Serei secoua la tête, le regard désapprobateur.

- T'as un problème avec moi la crevette ? Fais gaffe si t'veux pas que j'te mange avec d'la mayo !

Serei se tourna vivement vers l'autre garçon, qui était entré dans la salle de cours, se dirigeant vers Kell. S'il avait dû parler d'un animal, Serei aurait certainement comparé l'homme à un rhinocéros. Oui, cet homme était prêt à foncer sur Kell pour ses mauvaises manies et le méchant ton employé. Serei s'apprêta à s'interposer, mais l'autre homme fut plus vif :

- C'est quoi ton ptit nom la crevette ? Hein ?

Kell et l'homme se trouvaient à quelques centimètres l'un de l'autre, Serei ne pouvait décemment pas se glisser entre les deux, et il se serait pris des coups non mérités. Pas qu'il pensait que Kell ou l'autre méritaient des coups, mais s'il y en avait bien un qui n'avait rien fait pour que la situation en arrive là, c'était bien Serei. Il n'était pas des "partisans du moindre effort", mais plutôt des "partisans du risque zéro", et Serei n'aimait pas devoir lever les poings pour rien.
C'est hésitant qu'il prononça ces mots :

- Je vais...vous laisser...

Il rangea maladroitement ses copies dans son sac, essayant de trembler le moins possible. Serei n'avait pourtant pas peur, mais les atmosphères à tensions avaient le chic pour le rendre malade et craintif. Il glissa son sac sur une épaule, d'un geste maladroit, et, d'un sourire tout aussi maladroit, s'excusa auprès des deux hommes, avant de s'avancer vers la porte.

- T'as un problème avec moi la crevette ? Fais gaffe si t'veux pas que j'te mange avec d'la mayo !

Je me pinçais les lèvres, attendant la suite de la provocation. C'était pas comme si c'était la première fois que je tombais sur ce genre de mec. En même temps, s'il se montrait menaçant, il s'avérait être une drôle de menace, le bonhomme. Menacer de me manger avec de la mayo ? Il me prenait pour un jaune d’œuf ou bien ?

- C'est quoi ton ptit nom la crevette ? Hein ?

Je tournais la tête vers le type qui s'était avancé. A peine plus petit que moi, assez imposant, ne serait-ce que par son regard glaçant, qui f'sait quand même pitié, j'peux pas me mentir. Ca f'sait un peu combat de titans. "Titans", c'était un bien grand mot pour le pitoyable type qui se tenait face à moi. Ma bouche s'étira en un rictus. J'allais p't'être pouvoir passer mes nerfs sur ce mec, et Louis n'aurait pas à subir les conséquences de son lapin. Si finalement, tout compte fait, il passerait à la casserole aussi, ce con.

- Je vais...vous laisser...

J'entendis Serei ranger ses affaires dans son sac, mais j'voulais pas quitter le blanc bec des yeux. Merde, ils étaient cons, tous les deux. Tant pis, j'ferai connaissance une autre fois avec le brun.
Ignorant Serei, je répondais au plouc qui me regardait droit dans les yeux.

- J'ai l'air d'une crevette, connard ?

Crevette, connard, homard : tout était lié.
Je fis craquer mes phalanges, toujours en le fixant, et en penchant la tête de côté puis, me faisant remarquer qu'on n'irait pas bien loin si je répondais à côté de ses questions, je me décidais à lui filer mon nom quand même.

- Kell, sinon. T'es pas un peu vieux pour la fac ?