Le Visiteur du Campus.

**Tony Rascal** Age : 37 Situation professionnelle : SDF

Le campus de l’Université d’Edna était un lieu tranquille et ma foi fort agréable. Plus riche que le parc en bancs et en compagnie, il était accessible à quiconque voulait s’y poser, étudiant ou non ; cependant, peu de visiteurs impromptus avaient réellement le courage d’aller poser leur derrière sur un banc solitaire. En effet, en ces jours ensoleillés, la plupart des étudiants appréciaient de se retrouver dehors, préférant travailler au grand air que dans le froid silence de la bibliothèque. Alors, bien sûr, c’était un peu la course pour avoir un banc – les plus téméraires ne rechignaient pas à s’installer sur l’herbe humide, mais ils étaient une minorité – et les « intrus » qui avait le malheur d’empiéter sur ce territoire initialement prévu pour les étudiants se faisaient fusiller du regard par un bon nombre de jeunes à l’arrière-train humidifié par une herbe mouillée.
Dans tous les cas, seuls certains « habitués » un peu excentriques préféraient l’effervescence d’une cour traversée par des étudiants pressés au calme du joli parc du centre ville.
Et parmi ces excentriques, vous l’aurez deviné, on retrouvait un certain SDF.

Ce matin-là, Tony avait quitté sa planque pour aller se balader dans l’espoir de, peut-être, se faire de la menue monnaie. Il était certes fier de son repaire, agencé par ses soins à partir de diverses carcasses, mais il quittait volontiers son univers puant pour aller respirer l’air pur des pots d’échappement de la ville.
Contrairement à d’autres dans son genre, il ne squattait pas un coin précis de la ville, mais errait un peu partout, se posant là où il se sentait inspiré ; et ce jour-là, c’était sur le campus.
Plutôt lève-tôt, il était arrivé à une heure où les étudiants sont soit en cours, soit chez eux à roupiller pour se remettre de leurs soirées de la veille ; c’est donc aisément qu’il trouva un banc bien placé sur lequel s’installer.
Il prit d’abord le temps d’observer un peu les environs, encore calmes à cette heure-ci. Oh, ce n’était pas sa première visite, loin de là, et il avait même quelques connaissances parmi les étudiants, certains étant venus l’aborder et discuter avec lui lors de ses précédents passages. Mais cela faisait un bon moment qu’il n’avait pas squatté cette cour, et il contemplait les environs avec le petit sourire rêveur de celui qui aurait bien continué ses études, si l’occasion s’était présentée.

Puis, il se rappela qu’il était tout de même un SDF et qu’il devait faire son travail ; il sortit de sa poche une petite coupelle bleue pastel en plastique mou et la posa à ses côtés sur le banc. Il racla ensuite les fonds de ses poches pour trouver quelques centimes à mettre dedans ; que voulez-vous, les gens étaient souvent peu enclins à faire le premier don, il valait mieux leur faire croire que cette initiative avait déjà été prise !
Il était désormais fin prêt ! Quoique… là encore, contrairement à ses confrères, il ne fixait pas chaque passant avec un air malheureux et ne les interpelait pas pour demander la pitié ; non, il adoptait plutôt une pose décontractée, offrait son plus beau sourire à ceux qui croisaient son regard, continuait d’observer le coin ou de regarder le ciel ; et quand il interpelait un passant, c’était pour lancer quelque compliment plus ou moins bien formulé ou un petit commentaire qu’il trouvait pertinent et de circonstance, toujours sur un ton sympathique et sans jamais réclamer quoique ce soit.
Même si, dans la fraicheur du bon matin, il n’aurait pas été contre un bon samaritain qui lui aurait offert un petit café à 40 centimes… !

Kaus n'avais pas cours ce matin, et comptais en profiter pour rester un peu plus longtemps au pays des rêves. Mais le vent en voulu autrement, s'infiltrant par la fenêtre entrouverte de sa chambre d'étudiant. C'est pourquoi, vers sept heures il alla se promener dans la cour de l'université. Sa petite veste noir, un peu grande pour sa corpulence, voletait derrière lui. Il frissonna. Une bourrasque de vent le surprit, accompagné par quelques feuilles de Tilleul. Il continua sa marche en traînant des pieds. Si ses chaussures pourraient parler, ou même gémir, elle le feraient sans aucun doute ! Leurs bouts étaient déjà bien usés, mais pas assez pour qu'il y ai de trou. Il n'y avait que très peu de personne à cette heure-ci et il appréciait cela. L'après-midi, surtout quand il y avait un grand soleil, tout les étudiants sortaient pour réviser ou bronzer tout en s'esclaffant ou gloussant. Kaus ne trouvait pas ça très agréable et préférait la fraîcheur de la nuit ou du matin. Il distingua au loin un homme assit devant une petite coupelle bleu. En s'approchant, il aperçut un large sourire franc sur son visage. Il avait aussi quelques cicatrices qui parsemées cette frimousse enjouée, mais cela lui donnés du charme. Enfin, c'est ce que pensait Kaus. Étonnamment, il appréciait beaucoup les cicatrices, lui rappelant les vieux pirates anglais. Kaus n'avait pas tellement d'argent vu qu'il était orphelin et se sentit un peu confus de ne pas pouvoir en déposer dans la coupelle. Il allait continuait son chemin quand, il repensa à sa petite provision qu'il s'était faite à la cantine hier soir. Il sortit donc une clémentine de son sac à bandoulière et la posa dans la coupelle bleutée, recouvrant les quelques centimes qui s'y trouvés. Il sourit à cet homme en s’excusant de n'avoir que ça à lui offrir.

**Tony Rascal** Age : 37 Situation professionnelle : SDF

Le ciel était bien couvert, ce matin, et Tony s’inquiétait un peu ; il aimait bien la pluie, mais elle tendait à abimer ses vêtements déjà bien vieux, menaçait de lui faire choper la crève et limitait fortement les dons que lui faisaient les passants. Déjà, parce qu’il y a moins de passants quand il pleut, et puis, parce qu’ils sont généralement trop pressés pour faire attention à lui.
Il faisait donc une petite prière à un dieu quelconque pour que le temps s’améliore dans l’après-midi ; d’autant plus qu’il n’avait pas chaud, sous son imper’ troué. Il commençait à envisager de changer de banc, et ainsi opter pour un lieu moins propice aux rafales de vent, quand quelqu’un s’approcha de lui.
Il n’avait pas eu beaucoup de succès, depuis son arrivée, probablement parce qu’il n’y avait pas encore grand monde. Et puis, à notre époque, même le plus sympathique des SDF ne parvient pas à séparer les gens de leurs précieux sous. Il offrit donc un sourire avenant au premier généreux de la journée, un jeune homme, pas bien grand et pas bien vieux – sûrement moins de vingt ans. Ce dernier semblait un peu gêné, intimidé, peut-être, aussi Tony faisait-il son possible pour paraître sympathique, ne voulant pas faire fuir le potentiel premier profit de la journée.
Alors, le jeune étudiant sortit quelque chose de sa poche, pour le déposer dans la coupelle. Une clémentine. Ce n’était pas banal, comme don, et une expression de surprise se dessina sur le visage du SDF, tandis que le jeune inconnu s’excusait de n’avoir que ça à donner. Les yeux marrons de l’adulte sans abri quittèrent le fruit pour venir, toujours avec surprise, dévisager l’étrange donateur ; puis, rapidement, un grand sourire étira ses lèvres, très vite suivit par un rire.

- Haha, t’excuses pas, p’tit gars ! C’est super chouette, c’que tu m’donnes ! Tout l’monde n’aurait pas sacrifié une clémentine pour l’clodo du coin ! Merci !

Habituellement, les gens qui n’avaient d’argent traçaient leur route sans vraiment chercher à offrir quoique ce soit au type squattant le banc – ou le trottoir – ni nourriture ni même simplement un sourire.
Tony saisit le fruit rond et le brandit joyeusement, clamant d’une voix satisfaite :

- ‘manque plus qu’un bon café, et v’là mon p’tit dej’ ! C’est parfait !

Il pointa du doigt le jeune homme, de sa main tenant la clémentine, lui offrant un sourire reconnaissant.

- T’es un type bien, p’tit gars ! Un généreux. J’te r’vaudrais ça, quand j’le pourrais, juré !

L'homme à l'imper' troué abordait un sourire encore plus large et communicatif à quiconque croisait son regard. Kaus se dit que ce serait bien si les gens souriaient plus souvent. Ce SDF n'avait pas l'air d'avoir eu la vie facile mais gardait tout de même le sourire. Combien de temps vivait-il ainsi ? Kaus n'osa poser cette question.
Il l'avait qualifié de « généreux ». Kaus n'avait jamais était désigné par ce mot. Cela le rendit heureux que quelqu'un pense ça de lui. Il lui demanda :
- Et... vous vous appelez comment ?

**Tony Rascal** Age : 37 Situation professionnelle : SDF

Tony était plutôt content, sa journée commençait bien. Il n’avait pas tous les jours l’occasion de manger des fruits frais au petit déjeuner, après tout et, mine de rien, c’était pas plus mal qu’on lui apporte directement de la nourriture, plutôt que trois-quatre centimes qui suffiraient à peine à acheter un demi-croissant tout gras.
De toute manière, quoiqu’on lui offre, il était content ; c’était bien là l’avantage d’être un imbécile heureux, il trouvait toujours le bon côté des choses.

Son bienfaiteur ne prit pas la fuite après sa bonne action, contrairement à 99% des gens qui prenaient le temps de donner une petite pièce. Non, il restait planté devant le SDF, visiblement curieux, et lui demandait son nom. C’était inhabituel. Bon, cela arrivait, de temps en temps, mais cela faisait toujours plaisir à Tony d’avoir un peu de compagnie.
Ravi, donc, d’être questionné, il prit une pose inspirée, se composant un air mystérieux, avant de répondre :

- Ahan, tu m’ne connais don’ pas ? J’suis… le célèbre vagabond d’Edna, le SDF voyageur, le grand seigneur de la décharge… Tony Rascal !

Il conclut son petit discours en écartant les bras avec un air noble, avant de s’incliner légèrement, comme devant un public. Reprenant par la suite sa position décontractée, il lâcha un petit rire, accompagné d’un vague mouvement de la main :

- J’déconne, hein, tout ça c’est d’la blague ! J’suis qu’un clodo comme les autres. Mais ‘fallait bien qu’ma présentation envoie un peu du pâté !

Il rit à nouveau, puis fit un petit signe de tête vers le jeune homme, demandant à son tour :

- Et toi, c’est comment qu’tu t’appelles ? Histoire que j’sache le nom d’mon bienfaiteur.

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