- Enfin tranqui...

- Des envies suicidaires ? Je ne te retiens pas, lançais-je, mais si tu veux sauter attends que je sois partis veux-tu ? Je ne veux pas que ça me retombe dessus par la suite !

Une fois stabilisé sur mon perchoir, je me tourne vers la porte pour voir le perturbateur de tranquillité. Je vis s'avancer vers moi un mec, un GRAND mec. Bon, c'est peut-être aussi parce que je ne suis pas grand que je le trouve d'autant plus impressionnant. De toute évidence, il ne faisait pas partie des étudiants. A mon avis, c'est un vieux prof de français grincheux qui vient tuer ses heures de trou sur le toit. Je suis un grand détective, à mes heures perdues.
Le gars s'arrêta devant moi, visiblement, il pensait que je ne l'avais pas encore vu.

- Des envies suicidaires ? Je ne te retiens pas, mais si tu veux sauter, attends que je sois parti, veux-tu ? Je ne veux pas que ça me retombe dessus par la suite !

Sympa, le mec. D'autant plus que c'est lui qui a failli m'assassiner en ouvrant la porte aussi brusquement. Je n'aurais pas sursauté, sinon. J'hésite donc entre lui grogner une gentillesse et feindre l'innocence. Le dilemme étant trop ardu, je décide de jouer la carte du naturel.

- Merci du soutien, fallait pas vous donner cette peine. Et vous, vous faîtes quoi ? Vous venez lancer des bouteilles de bière vide sur les élèves du haut du toit ? Heureusement que je ne suis pas en bas, alors.

Mon éloquence m'étonne, et me réjouit un peu par la même occasion. Paradoxalement, je commence à l'apprécier, ce vieux antipathique.

- Merci du soutien, fallait pas vous donner cette peine. Et vous, vous faîtes quoi ? Vous venez lancer des bouteilles de bière vide sur les élèves du haut du toit ? Heureusement que je ne suis pas en bas, alors.

- Vois-tu petit il se trouve que je suis le Psy de l'université, Mon prénom c'est Gregory. Je sens que tu as de l'humour toi !

- Comment tu t'appelles ? J'ai pas encore lus mes dossiers... J'avais pas le temps avec... hum, j'hésite, des choses, je lève un sourcil.

Je vois à la mine du vieux que je ne suis pas le seul à m'étonner de ma réponse. Il me toise, avant de finalement s'asseoir à côté de moi, non sans difficulté. Je le suis du regard dans ses déplacements, curieux de ce qu'il va me dire. Je le vois consulter son téléphone et, apparemment, il a l'air déçu de ne rien trouver.

- Vois-tu petit il se trouve que je suis le Psy de l'université, mon prénom c'est Grégory. Je sens que tu as de l'humour toi !

Un psy ! C'est bien ma veine. Il doit sûrement être en train de brosser mon portrait psychique et se dire que je ferais, effectivement, un meilleur choix de sauter dès maintenant du haut de ce toit. Je souris. Ça doit être amusant de parler avec un psy.

- Comment tu t'appelles ? J'ai pas encore lu mes dossiers... J'avais pas le temps avec... hum, j'hésite, des choses.

Il ponctue sa phrase d'un geste évasif.

- Teñval. Vous avez des dossiers sur tous les étudiants. C'est mortel ! Y a quoi dedans ? "Psychopathe", "collectionneur de brindilles"... ?

Ça ne me ressemble pas, de poser autant de questions, de manière aussi fluide. Mais décidément, il m'inspire ce type ! Grégory. Il ne m'a pas dit son nom, je dois donc avoir l'autorisation de l'appeler par son prénom. Ouais, je crois que je l'aime bien.

- Teñval ? C'est un beau prénom que je ne pense pas avoir entendu avant... Oui, effectivement j'ai tous les dossiers, MAIS pour le moment avec les informations de base "Nom, Prénom, Age, Situation professionnelle..." Des choses utiles au début qui finissent aux oubliettes lorsqu'on commence à cerner la personne... Et pour le moment il n'y a malheureusement pas marqué "Psychopathe", ce qui est bien dommage puisque les psychopathes sont les meilleurs cas... Mais je suis sûr qu'il y en a au moins un, ou peut-être une... Si tu veux tu peux me dire si tu es un "Psychopathe" ou si tu es "Schizophrène" je privilégierai tes passages à l'infirmerie !

- Teñval ? C'est un beau prénom que je ne pense pas avoir entendu avant... Oui, effectivement j'ai tous les dossiers, MAIS pour le moment avec les informations de base "Nom, Prénom, Age, Situation professionnelle..." Des choses utiles au début qui finissent aux oubliettes lorsqu'on commence à cerner la personne... Et pour le moment il n'y a malheureusement pas marqué "Psychopathe", ce qui est bien dommage puisque les psychopathes sont les meilleurs cas... Mais je suis sûr qu'il y en a au moins un, ou peut-être une... Si tu veux tu peux me dire si tu es un "Psychopathe" ou si tu es "Schizophrène" je privilégierai tes passages à l'infirmerie !

Le silence accueille sa tirade. Je ne connais personne ici, alors je serai un bien piètre informateur. Et puis, je ne suis pas psychologue, moi, je ne sais pas juger les gens quant à leur état psychique rien qu'en leur regardant le tréfonds des yeux.
Et moi ? Psychopathe ou schizophrène ? Ah ah ah. Fou peut-être. Mais hors de question que je passe à l'infirmerie. J'aime pas ça, les infirmeries. Ça pue le médoc, la flemme et les petits secrets.

Grégory bouge, il repose une canne à ses côtés. Je n'avais pas vu qu'il usait d'un tel outil. Je ne peux refréner la bouffée d'imagination qui m'envahit. Pourquoi boîte-t-il ? Avec ses airs de vieil aigri, il a peut-être eu à se battre dans sa vie ! Je le verrais bien agent secret. Ça le fait non ? sa canne, c'est peut-être en réalité le fourreau d'une épée ! Ou pourquoi pas explorateur, du type Indiana Jones. Ça lui irait bien je trouve. Et il aurait perdu de l'agilité en se faisant attaquer par un peuple que l'on croyait disparu, quelque part perdu au fin fond de l’Amérique latine. J'étouffe un gloussement - j'ai vraiment trop d'imagination, on dirait un gamin - et m'éclaircit la voix.

- Qu'est-ce qui vous est arrivé ? dis-je, en désignant du menton la canne près de lui.

- Un alligator a failli me manger la jambe ! J'ai de la chance de l'avoir encore !

Il appuie sa réponse d'un regard imperturbable planté droit dans mes yeux à moi. Ce mec est grave ! J'apprécie son côté pince sans rire, bien que ça ne réponde pas à ma question. Des gens qui ont du répondant, il y en a si peu... quant aux occasions de s’adonner à ce genre de petit jeu, n'en parlons pas. Je sens qu'il cherche à me tester. Tiens, il a décidé de remplir ma fiche psy en premier ? Curieux de la tournure que vont prendre les événements, je marche dans sa combine.

- En effet, j'ai entendu dire que c'est coriace, ces bêtes-là. Il n'a pas du vous trouver à son goût. Vous avez mauvais goût. Voyez ça comme une chance !

Je lui jette un regard malicieux, histoire de lui montrer que je ne suis pas dupe. Merde, je me laisse entraîner, à tous les coups il va me faire interner si je continue à jouer les fortes têtes. Mais c'est plus fort que moi, je ressens une irrésistible envie d'apprendre à connaitre ce gars, ses réactions.

Mon euphorie retombe subitement, une pensée vient de me traverser l'esprit à la vue des quelques personnes qui traversent à ce moment la cour, leurs sacs sur le dos. Bientôt, il me faudra redescendre, retourner à la cohue d'étudiants dépersonnalisés, retourner en cours, disparaître. Je pousse un soupir venu du fond du cœur.

- En effet, j'ai entendu dire que c'est coriace, ces bêtes-là. Il n'a pas du vous trouver à son goût. Vous avez mauvais goût. Voyez ça comme une chance !

Je souris, il a de l'humour ce petit et de la répartie... en plus il n'a pas mordu à l’hameçon, enfin quelqu'un de différent, on en trouve peu maintenant... je pars dans mes pensés. L'air ailleurs, repensant à l'ancien temps et à mes amis... puis lorsque je reviens à la réalité je vois qu'il regarde en bas, les gens qui retournent en cours, c'est vrai que je ne connais pas les horaires de cours... il faudra que je les cherche mais je risque d'oublier... puis il pousse un soupir, je fais de même.

- Tu as cours c'est ça ? Ne vas pas te mettre en retard par faute ! Vas-y ! Je traîne souvent sur le toit ! Si tu fais de même saches que nous nous recroiserons !

Avec bien du mal je me redresse à l'aide de ma canne, je le regarde fixement dans les yeux.

- Je vais dire la vérité : j'ai apprécié discuter avec toi ! Prends-le comme un compliment ! Ne devient pas comme moi, je te le souhaite ! Je séchais les cours étant jeune j'allais sur le toit avec des amis et nous buvions des... Oups... Fallait pas le dire ! On finit par payer, mais j'ai travaillé dur quand je me suis rendu compte que c'était mon futur; cette salle de cours avec des gens qu'on apprécie ou non, ceux qu'on trouve énervants, sans personnalité et surtout ces filles trop maquillés, avec des allures de pétasses mais dis-toi que quand tu seras grand, tu remercieras ces années de travail ! Moi je vais rester un peu je pense, de toute façon je n'aime pas l'infirmerie l'odeur de médicaments et ce matériel ne me plait pas... Je vais surement traîner dans la cours sinon... A la recherche de personnes à embêter !

Mon compagnon de toit accompagne mon soupir. Il suit mon regard jusqu'en bas.
J'ai la tête vide, vraiment aucune envie de réfléchir. Je pourrais passer des heures sans me lasser, ici, entre ciel et terre.

- Tu as cours c'est ça ? Ne va pas te mettre en retard par ma faute ! Vas-y ! Je traîne souvent sur le toit ! Si tu fais de même, sache que nous nous recroiserons !

Il se redresse pour me regarder droit dans les yeux. Je souris en passant une main dans ma tignasse ébouriffée. Je n'irais pas jusqu'à dire que je suis embêté de louper les cours. La vérité, c'est qu'inconsciemment, j'aurais même voulu arriver en retard, ou mieux, oublier d'y aller. Mais il a raison, ce n'est pas la meilleure des idées à avoir.

- Je vais dire la vérité : j'ai apprécié discuter avec toi ! Prends-le comme un compliment !

Sa franchise me bouscule. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me dise des gentillesses. Je sens la gêne monter en moi. Je voudrais pouvoir lui répondre que son ressenti est partagé, mais les mots ne viennent pas. Alors, pour marquer mes émotions du mieux que je peux, je lui adresse un sourire timide.

- Ne deviens pas comme moi, je te le souhaite ! Je séchais les cours étant jeune, j'allais sur le toit avec des amis et nous buvions des... Oups... fallait pas le dire ! On finit par payer, mais j'ai travaillé dur quand je me suis rendu compte que c'était mon futur. Cette salle de cours avec des gens qu'on apprécie ou non, ceux qu'on trouve énervants, sans personnalité et surtout ces filles trop maquillées, avec des allures de pétasses mais dis-toi que quand tu seras grand, tu remercieras ces années de travail ! Moi je vais rester un peu je pense, de toute façon je n'aime pas l'infirmerie, l'odeur de médicaments et ce matériel ne me plait pas... Je vais sûrement traîner dans la cour sinon... à la recherche de personnes à embêter !

Je ne peux m'empêcher de rire en entendant son avis tranché sur l'infirmerie. On dirait bien que nous avons un point en commun, doc' ! Je ramasse mes affaires, tombées à mes pieds et les range négligemment dans mon sac. Lentement, je me redresse et commence à tourner les talons. Avant d'ouvrir la petite porte métallique, je me retourne et lance, l'air rieur.

- Ne sautez pas, surtout. Ça se pourrait que je revienne pour vous questionner sur les alligators, doc' !

Le grincement de la porte clos notre entrevue, et je me retrouve plongé dans l'obscurité de cette cage d'escalier étroite. Je n'ai pas vu le bout du monde, de là-haut, j'ai oublié de le chercher. Zut, il faudra que j'y retourne, un de ces quatre.