J'allais m'en aller aussi rapidement et discrètement que j'étais venu, trop heureux de n'avoir été accosté par personne, quand j'entends que l'on me souhaite un joyeux noël. Ma première pensée est alors pour la prononciation de mon prénom. Pour une fois, elle n'est pas erronée. Je souris de satisfaction avant de réaliser qu'il va falloir que je me retourne et tente une socialisation ardue. Enfin, je la reconnais. Cette voix, je l'ai déjà entendue. Rapide remémoration de ces derniers jours pour poser un nom sur cette teinte de vocalise. Hum... Conscient que les secondes continuent de s'égrainer et qu'en me retournant je m'épargnerai l'exercice mental de retrouver le propriétaire de la voix, j'effectue un soigneux demi-tour sans dérapage.

Noah. Un de mes deux colloc' de chambre. Je souris, soulagé. Bien que ma présentation à son arrivée dans la chambre ait été d'un pitoyable effet, je ne peux pas m'empêcher d'apprécier ce type. J'ai certes un peu peur qu'il me prenne de haut, ma taille n'arrangeant rien, mais je me doute qu'il n'est pas de ce genre. Les lunettes, sans doute.

- Joyeux Noël, voisin de plumard ! lancé-je d'un ton que je voulais franc et clair.

Je ne sais pas si le rendu vaux ce que j'espérais obtenir, mais Noah a l'air content. Je décide alors de ne pas trop me poser de questions.
Noah se tient près du sapin. En fait, pour être exact, il se tient même juste à côté du cadeau que j'ai moi-même déposé quelques minutes plus tôt. Trop occupé à penser, je ne l'avais même pas remarqué, encore une fois. Mon père noël se racle la gorge, sûrement gêné par le blanc qui s'installe entre nous. Est-ce que je dois prendre son cadeau et l'ouvrir maintenant, devant tout le monde ? Mal à l'aise, je danse d'un pied sur l'autre, faute de m'ébouriffer les cheveux. Bhen ouais, forcément, j'ai mis un bonnet (très chouette d'ailleurs, il me tient bien chaud aux oreilles, je remercierai Fiëll, ma petite voisine chez mes parents, pour me l'avoir offert). Histoire de meubler notre "discussion" je souris, assez bêtement il est vrai, et tente d'amorcer un échange un peu plus fournis.

- Alors, tu es mon père noël ? Quel hasard de tomber sur son voisin de chambre !

C'est stupide, je me mords la joue en guise de sermon. Il me semble que le monde autour de nous s'éloigne, je me concentre sur le visage de mon camarade et entreprends d'en apprendre les particularités. C'est débile, comme occupation, mais ça a le mérite de me donner un air sérieux que je n'ai en réalité pas le moins du monde. Je suis surpris de constater que Noah a les yeux bleus. Je m'attendais plutôt à trouver des yeux bruns ou noirs derrière les carreaux de ses lunettes. Certes, c'était purement du préjugé, de penser qu'un brun ait des yeux de la même couleur. Il est assez beau, le bougre. Les filles doivent toutes se perdre dans son regard. Il parait qu'elles adorent ça, les bruns aux yeux clairs. Dommage pour moi qui n'ai pas la chance de bénéficier d'un tel atout.
Je souris une fois encore, en attendant qu'il me réponde.

- Alors... Euh tu préfères l'ouvrir maintenant ou attendre plus tard ?

La question me prend au dépourvu. J'aurais préféré qu'il ne me laisse pas le choix. C'est toujours un peu risqué de faire un choix. C'est un peu comme si on mettait en jeu une partie de nous, de notre subjectif. L'idée ne me réjouit pas. Par ailleurs, je ne sais s'il préfère assister à l'ouverture du cadeau ou s'il aimerait mieux que je le fasse loin de lui. Il me faudrait le connaitre d'avantage... Je me mords le coin de la lèvre en haussant les épaules.

- Bhen... Comme tu le souhaites, à tes ordres cher père noël !

D'une courbette, je termine mon esquive de professionnel. Je choisis de ne pas choisir. Je repousse la fatidique prise de risque, inlassablement. C'est un jeu dangereux, celui de l'inconnu. A ne pas vouloir choisir, on se promet des imprévus et des déceptions. Mais en l'éternel optimiste que je suis, je m'en vais, les yeux fermés dans cet inconnu qui me fait paradoxalement si peur. J'esquisse un sourire en coin. J'aime ce sentiment étrange d'incertitude, de malaise empreint de quelque chose de plus fort, plus complet, plus... absolu. Un petit brin de folie, qui sait ?
D'un mouvement de tête, je reviens sur terre. Me revoilà face à Noah. Je vois à nouveau mon voisin de chambre, tenant entre ses mains son paquet bien emballé. J'ai envie de rire, et je trouve ça grotesque. Mais je suis content. Content que Noah ait l'air de bien m'apprécier.

- Et bien... Hm... Il serait certainement mieux que tu l'ouvres maintenant, histoire de pouvoir l'échanger le plus vite possible s'il ne te plaît pas !

Il me tend le paquet, avec aux lèvres un sourire large comme une banane. Je refrène une énième envie de passer ma main dans mes cheveux (toujours cachés sous mon bonnet, soit dit en passant) et prends le cadeau dans mes mains rougies par le froid.

- Encore Joyeux Noël Teñval !

Je le trouve vraiment chaleureux, ce gars. En essayant d'ouvrir le paquet, sans abîmer l'emballage, je me coupe malencontreusement au revers d'une tranche de papier fourbe. Mais tel l'homme fort et courageux que je suis, je me contente de froncer les sourcils en regardant le sang perler dans la fente nette dessinée par le papier. J'aime cette teinte vermeille qui égaye ma terne couleur d'épiderme. Fasciner, je fixe le chemin que se trace le liquide chaud le long de mon doigt. Je me plais à en suivre les méandres et les hésitations. La chute de la première gouttelette m'arrache brutalement à mes rêveries et je réalise non sans honte que Noah attend toujours que j'ouvre son cadeau. Penaud, j'entreprends de détacher les derniers liens de scotch.

Dans le paquet, je découvre un pull. Un pull blanc molletonné. Assez simple, mais doux et probablement bien chaud. Je souris en dépliant le vêtement pour en estimer la taille.

- Tu as de bons goûts mec ! Il m'a l'air parfait pour piquer un somme bien au chaud en cours ! Pull trois étoiles en terme de confort, à ce qu'il me semble.

Je lui adresse un clin d’œil enjoué pour le convaincre de ma franchise et retourne à la contemplation de mon nouvel habit.

- Ah, toi aussi tu dors en cours ?! En tout cas je peux te certifier qu'il est, en plus d'être bien chaud, un pull très trèèèès confortable. Tellement qu'il te sera difficile de le quitter ! En tout cas, je suis vraiment content qu'il te plaise. J'ai eu un moment de doute !

Le rire de Noah claironna dans la brise fraîche qui nous balayait le visage à ce moment précis.

- Tu as tapé dans le mille, ne doute plus. Grâce à toi, je serai le dormeur le plus cool de la classe ! Héhé.

J'insiste un peu sur mon petit numéro de mec détaché en haussant des sourcils, et la main gauche encadrant mon visage. Avec ça, qui pourrait me résister, hein ?