Je me rattrape de justesse à un poteau métallique gelé, qui me sauve in extremis d'une énième glissade. Fichu verglas, ennemi de ma fragile gravité ! Un peu honteux de ma maladresse, je jette un rapide coup d'oeil aux alentours, pour m'assurer du nombre restreint de témoins. Heureusement pour moi, je suis seul dans la ruelle et donc, par conséquent, cette presque chute restera un secret. A vrai dire, je crois que je suis un peu perturbé. Cette histoire de "secret santa" me met dans tous mes états. Quelle idée saugrenue de devoir offrir un cadeau à un parfait inconnu que je ne connais pas ! (pléonasme certes, mais vérité vraie avant tout, HA !) Je rumine mes angoisses, toujours accroché à mon poteau, encore sonné par mon dérapage qui m'a semblé durer une éternité. Je laisse échapper un ricanement narquois. De toute manière, qu'est-ce que ça aurait bien pu me faire, que quelqu'un me surprenne en situation délicate ? Je m'en contrefous, du regard des gens. Il m'est aussi impénétrable que le poteau auquel je me tiens.
Le carrefour, au bout de la ruelle, est désert, aussi je traverse sans encombre alors même que le "petit bonhomme" est toujours vêtu de rouge.

J'espère que ce Kaus ne sera pas encore arrivé, ou qu'il ne me verra pas, lorsque je déposerai mon cadeau au pied du grand sapin. Pas que je sois un froussard, mais j'avoue ne pas être un as des relations humaines. Alors, si je pouvais m'éviter une entrevue toute dégoulinante de gêne et de honte, ça serait un réel soulagement. Tout en maudissant les trottoirs gelés d'une neige trop fine pour perdurer, je resserre mon emprise autour des lanières du petit sac de toile dans lequel j'ai glissé le cadeau que je m'en vais offrir bien malgré moi. Qu'est-ce qu'il aime, ce type, dans la vie ? Après tout, que m'importe bien d'avoir son nom si je ne sais pas ce qui le caractérise ? Est-on réellement censés faire des cadeaux avec seulement un nom ? Je soupire, cette mascarade est surtout un nids de malaise. Je suis sûr que je ne suis pas le seul à me poser ces questions. L'autre jour, lorsque je arpentais les devantures colorées des magasins, je me disais que je ne parviendrais jamais à trouver une bonne idée. Les cadeaux, c'est pas mon fort. Aussi, je m'étais mis en tête de trouver quelque chose qui ne soit pas encombrant, mais qui puisse être utile et confortable. Voyez-vous, j'aime le confort. J'allais renoncer et baisser les bras, quand je suis tombé sur cette écharpe. A vrai dire, je ne sais pas si Kaus la portera, mais au moins, elle a le mérite de répondre à mes attentes : une superbe écharpe blanc cassé-crème en laine et rembourrée d'un tissu polaire qui ne gratte pas le cou et tient bien chaud. La laine écrue est surpiquée de petites décorations géométriques rouges et bleu roi. La vendeuse m'avait assuré que ces couleurs pouvaient se marier avec n'importe quelle tenue ou n'importe quel style vestimentaire. Je ne l'avais que peu écoutée, trop heureux d'avoir ce poids en moins. En l'emballant hier, j'étais fier et persuadé de mon génie. Aujourd'hui, à quelques mètres de ma destination, je doute.
Je repense à la longue demi-heure durant laquelle je me suis battu avec le papier cadeau. Suis-je le seul à être si peu habile avec les emballages ? Je m'étais appliqué, bien malgré moi, pour que mon paquet soit présentable. J'avais choisi un papier orné de décorations de noël que je trouvais fort à propos. Mais peut-être le trouvera-t-il trop enfantin. De toute manière, les gens ne prêtent souvent que peu d'attention aux emballages. Triste vérité, beaucoup de temps passé à présenter pour si peu d'attention au final. Seul le contenu importe. Pourtant, il me semble qu'en matière d'humain, on fonctionne à l'inverse. Le contenant accapare bien trop l'attention, se substituant au contenu. L'esthétique l'emporte. Quelle misère ! Je souris, me trouvant incroyablement philosophe, puis reporte mon attention sur le grand sapin qui se rapproche, devant moi.

J'aperçois des groupes de personnes discutant joyeusement autour de boissons chaudes. La buée qui s'échappe de leurs bouches et monte en dansant dans le ciel me rassure quelque peu, sans que je ne sache vraiment expliquer pourquoi. Je passe devant quelques visages familiers que je salue d'un sourire censé me donner un charme mystérieux et assuré, sachant pertinemment que ce n'est que façade, puis dépose mon paquet au pied de ce grand arbre épineux.