- Je peux entrer... ?

Frapper trois fois avant d'entrer, s'introduire poliment... Les codes sociaux avaient été respectés et pourtant, aucune réponse ne parvint aux oreilles de Serei, qui choisit alors de pénétrer sans plus attendre le sanctuaire qu'était sa nouvelle chambre. Un sac à l'épaule, un autre à la main, il s'arrêta après la porte, jetant un regard lent aux quatre coins de la pièce qui lui servirait désormais de dortoir. Pour une raison qui lui était obscure, l'organisation des dortoirs avait récemment été modifiée, remplaçant les chambres à étudiant unique, en chambre...pluri-étudiante ? Ainsi, Serei avait fait ses valises et choisi sa chambre parmi celles proposées par la municipalité. Il s'y était inscrit après l'arrivée d'un certain Teñval, mais n'avait pas manqué de remarquer qu'un autre nom suivait le sien, sur la pancarte accrochée à la porte, côté couloir. La chambre, comportant trois lits, devait donc être complète. Il jeta un coup d’œil à ces derniers, espérant ainsi pouvoir repérer si les deux autres occupants avaient déjà pris possession des lieux. Deux lits libres. Le dénommé Noah n'avait sûrement pas encore pris place dans cet appartement. A moins que Teñval n'ait pas encore eu le temps de s'installer.
Serei s'approcha du lit le plus proche, y déposa ses affaires et s'y assit. Il fit une nouvelle fois le tour de la pièce du regard, essayant de capter ce qu'il verrait depuis ce lit. Il remarqua que les murs étaient recouverts d'un papier peint blanc et se demanda l'utilité d'avoir recouvert de papier blanc des murs qui, dans ses souvenirs, avaient toujours été blancs. A moins que ces murs aient toujours été recouverts de papier peint. Serei haussa les épaules pour se faire entendre que la question n'était pas importante, bien qu'elle prit une considérable place en son esprit, et s'allongea pour, d'abord, se reposer un peu, puis finalement, succombant à ses interrogations, contempler le plafond d'un blanc tout aussi immaculé que celui des murs. Recouvrir un plafond d'un papier peint ne devait pas être simple... Il porta un doigt à sa bouche, se questionna sur une éventuelle solution pour que la chambre fasse un peu moins boîte en carton blanc. Il ne possédait pas de poster, ni de tableau qui aurait pu égayer la pièce en un rien de temps. Peut-être que les deux autres auraient des idées, ou bien des éléments de décoration qui rendraient cette salle à coucher plus accueillante, bien qu'elle ne soit pas repoussante. Serei s'interrogea sur la décoration et l'ameublement de sa précédente chambre. Il n'y avait pas grand chose, si ce n'était l'affiche pour l'association sportive que des étudiants du club d'EPS avaient créée. Elle n'était certes pas très belle, mais Serei pensait que ce serait un bon début d'égaiement des lieux. Et avant tout un excellent moyen de faire bonne impression auprès des deux autres occupants de la chambre ; c'était l'occasion d'essayer de rencontrer des gens.
Il se releva donc pour aller chercher la dite affiche dans son ancienne chambre. En arrivant devant, il la fixa durant ce qui lui paru être trois-quatre secondes, et pensa que ses colocataires ne voudraient plus de lui s'il accrochait cette affiche sur les murs de leur salle commune. De plus, l'affiche prônait l'efficacité de l'équipe de Hand Ball prénommée Gamma, et Serei craignait que Noah ou Teñval veuille du coup intégrer cette équipe qui n'existait plus depuis près de deux ans...  Il soupira, laissa tomber l'idée et entreprit tout de même un examen des lieux, fouillant parmi les quelques affaires qu'il s'était contenté de mettre dans des cartons qu'il comptait descendre plus tard à la déchetterie.
N'y trouvant rien, il revint sur ses pas, réfléchissant encore à un moyen de...
Il retint une maigre exclamation à la vue d'une silhouette pénétrant dans sa nouvelle demeure. Impatient de faire connaissance avec Teñval et Noah, peut-être un peu plus impatient encore de voir les visages de ces deux personnes, il s'y hâta, se demandant quels seraient les premiers mots qui lui viendraient à l'esprit quand il tomberait nez-à-nez avec l'inconnu. S'il devait essayer de ne pas se faire remarquer ou bien s'il oserait tenter une entrée fracassante. Il sourit à cette idée qui lui sembla plus qu'improbable et se contenta de ces mots, les accompagnant d'un sourire :

- Teñval ou Noah ?

Je pourrais lui parler du beau temps ? Ouais, non. Dans le genre idée pourrave, c'est du gratiné. Il va falloir trouver mieux, mon pote. Lui donner rendez-vous quelque part dans la ville ? Bhen voyons. Pourquoi pas lui demander son numéro immédiatement, tant qu'on y est. Décidément, je ne serai jamais un type du social. Les relations humaines, c'est beaucoup trop de complications à mon goût. Oui mais, quand même, ça serait bien de tenter ma chance, pour une fois...
Mes pensées m'arrachent un grognement alors même que je pénètre dans ma chambre, à l'internat. Je n'avais pas encore eu le temps d'y venir, depuis mon arrivée. Le temps ou l'envie, qui sait. J'ai entendu dire que nous étions la première chambre complète. D'un coup. Je n'ai même pas pu bénéficier d'un sursis pour m'habituer à mes nouveaux comparses. Encore heureux que ce soit des mecs ! Je crois que le coup de grâce aurait été de me coller une gonzesse. C'est terriblement compliqué et je ne sais jamais quoi leur dire. Bon, d'accord, parfois je me laisse aller à quelques tentatives de drague minable qui se soldent bien souvent par un faux numéro. Je dois être un bien piètre acteur. Ou bien elles cernent bien vite mon manque d'assurance. Je finirai bien par m'améliorer, foi de moi ! Je suis bien décidé à bien m'entendre avec cette jolie rêveuse de la bibliothèque.

- Teñval ou Noah ?

La question m'arrache brutalement à mes pensées. Je sursaute en effectuant un impressionnant demi-tour dans les airs. C'est pas une figure artistique, ça, des fois ? Un gars se tient, près d'un des lits et me regarde en souriant. Je me racle la gorge, en ébouriffant mes cheveux courts, espérant vainement que cela suffirait à dissiper ma gêne ou, au moins, à effacer ma réaction exagérée. Je réalise alors que j'étais entrée dans la pièce et m'étais dirigé vers un lit sans même poser un regard autour de moi. Pauvre type, il a dû se sentir floué.

- Heu. Salut.

Merde, c'était pas la question. Il faut croire que je ne réussirai jamais aucune de mes entrées en scène. Je souris d'un air contrit et rectifie :

- Teñval. Ouais. Heu. Excuse, j'étais dans mes pensées... je t'avais pas vu.

Ça craint, il va vraiment me prendre pour un boulet. Pour faire diversion, je tente une relance de la "conversation".

- Et toi, ça doit être... Serei, tenté-je après un bref coup d’œil à la fiche informative qui me présente mes camarades de chambre.

Serei ne s'attendait certainement pas à ce que son arrivée provoque une telle panique chez son interlocuteur. Impressionné, Serei regarda le garçon qui était entré un peu avant lui faire un demi-tour qu'il qualifia de très bon, pour un basketteur, même s'il pouvait affirmer à coup sûr que le garçon en question n'était basketteur pour rien au monde.

- Heu. Salut.

Serei ouvrit la bouche pour répondre, mais le garçon le devança.

- Teñval. Ouais. Heu. Excuse, j'étais dans mes pensées... je t'avais pas vu.

Il en était sûr ! Il l'aurait parié. Il ne savait pas trop pourquoi ni comment, mais il avait eu une sorte de pressentiment.

- Et toi, ça doit être... Serei.

Serei ne put retenir son sourire, qui se dessina largement sur son visage. Il ne savait pas par où commencer, s'il devait lui répondre que oui, il était bel et bien Serei, ou s'il devait lui dire qu'il était heureux de partager sa chambre avec lui... Il acquiesça vivement, ne sachant finalement pas quoi dire. Serei avait l'impression de perdre sa voix à chaque fois qu'il était heureux.
Il resta devant l'entrée, regardant Teñval. Il était petit, mais il avait l'air assez sympa. C'était déjà ça de gagné ; il avait eu de la chance. Au moins un peu.

- Je... Je me demande à quoi ressemble Noah...

Avec encore un peu de chance, Noah serait aussi quelqu'un de sympathique, et Serei se considérerait alors comme très chanceux. Il s'avança vers son nouveau camarade de chambre et lui annonça :

- Je m'appelle Serei Smera. "Ser" comme dans "cerf", "ei" comme dans "hey", mais sans le "h" anglais, et avec un "s" au lieu d'un "c"... Je...

Il s'installa sur son lit, se balançant faiblement de droite à gauche, les mains sous ses cuisses.

- Je me suis installé, et...

Il se redressa pour fouiller dans l'un de ses sacs. Il était vraiment nul pour parler, un chocolat serait d'un bien meilleur effet. Il sortit son paquet entamé et le tendit à Teñval.

- Cigarettes au chocolat et fourrées à l'orange. Tu en veux...?

- Je... me demande à quoi ressemble Noah...

Amusant, lui non plus ne répond pas aux questions. Je souris intérieurement, me disant que pour une fois, je ne suis pas le seul un peu "décalé".

- Je m'appelle Serei Smera. "Ser" comme dans "cerf", "ei" comme dans "hey", mais sans le "h" anglais, et avec un "s" au lieu d'un "c"... Je...

J'écoute attentivement son explication, m'accrochant courageusement à chaque lettre épelée, mais les mots ne s'impriment pas dans mon pauvre cerveau. Je ne comprends pas tout ce qu'il dit. Il a l'air un peu hésitant, d'ailleurs. Sympa. Je le trouve sympa ! Je pense qu'on va bien s'entendre.
Le voyant s'installer, et par souci de me trouver une place dans cette pièce bien vide, je décide de poser mon arrière-train sur "mon" lit. C'est que, je me sens toujours un peu gauche quand je suis seul debout dans une pièce et désœuvré.
A peine le temps de m'asseoir, Serei se redresse, fouille dans un sac et me tend une sorte de paquet de cigarette ouvert sur le côté.

- Cigarettes au chocolat et fourrées à l'orange. Tu en veux...?

Je regarde le paquet, mal à l'aise, et tente d'attraper gracieusement une gâterie chocolatée. Bien sûr, je me loupe et mon geste ressemble plus à une sorte de fouillis empressé qu'à autre chose. Pauvre de moi.

- Merci.

J'ai seulement eu le temps de sourire, que déjà, la porte de la pièce s'ouvre sur un nouvel inconnu, grand et à lunettes.

- Bonjour !

Il nous regarde, je le regarde. Au bout de quelques secondes, je comprends qu'il attend sûrement une réponse.

- Salut. Teñval. J'veux dire, c'est mon prénom. Bienvenue.

Pour la énième fois de la journée, mes cheveux se retrouvent farfouillés par ma main droite. Il va falloir que je remédie à ce fâcheux tic. Hum, voilà un truc que je pourrai demander à ce vieux psy. Il pourrait sûrement m'aider.

Serei fixait le vide, un peu pris de court. Comment est-ce qu'on devait faire, pour parler à plusieurs personnes en même temps sans avoir le sentiment de prendre la vedette ou de disparaître ? Serei ne savait évidemment pas faire, avait déjà du mal avec une personne, et s'imaginait très mal tenter de converser avec plus d'une personne à la fois. Lorsqu'il entendit son prénom, il leva les yeux vers le nouvel entrant, et se força à sourire. Il se rappela qu'il tenait entre ses mains son paquet de cigarettes au chocolat, et il le tendit vers Noah. Il ouvrit la bouche, cherchant ses mots, et se trouva pris entre deux vagues lorsqu'il décida de prendre la parole. Se présenter à nouveau, ou bien faire comme si de rien n'était et continuer la conversation de manière à ce qu'elle s'enchaine logiquement. Ou alors...

- Elle est un peu vide, la chambre, je me demandais si vous auriez de quoi décorer les murs ou...

Il regarda le paquet de chocolat qu'il tenait du bout du bras, se rappela des conventions, et en proposa une à Noah pour se rattraper :

- Tu en veux une ? Chocolat fourré à l'orange, c'est plutôt bon, j'aime bien, moi.

Il se sentit perdre tout contrôle de la situation, se trouvant débile. Il n'était pas du tout à l'aise, faisait des efforts sans vraiment en faire. Serei savait qu'il pouvait faire mieux. Il se sentait pitoyable, voulait s'excuser de ses problèmes de diction, de sa nullité à parler avec les autres tout en restant naturel... Toujours fixant son paquet de chocolat, ou bien le vague aux alentours, il annonça :

- Je ne suis pas à l'aise...

Il rit un peu pour essayer de se détendre et les regarda alternativement, espérant qu'ils comprendraient que ça finirait bien par passer, quoi qu'il en soit à l'heure actuelle.

Apparemment, le malaise est partagé et cette pensé me réconforte un peu, bien que ça n'ait rien de glorieux. Je me dis qu'à ce jeu de timides, peut-être que je serai le meilleur acteur et qu'ils n'y verront que du feu ! ... Ha. Mais c'était sans compter mon entrée en matière, totalement perdu dans mes pensées, ignorant la présence de Serei, ou ma pitoyable présentation face à Noah. Tout compte fait, je suis peut-être bien le moins crédible. Ma seule consolation est de me dire qu'au moins, je suis risible. Ça peut aider, de faire rire.

- Je ne suis pas à l'aise...

Serei rit pour ponctuer sa déclaration. Visiblement, il partage mon avis sur le rire comme thérapie de groupe. Je cherche une réponse qui puisse être, sinon intelligente, du moins appropriée. Forcément, je ne trouve rien et décide tant bien que mal de répondre à l'une des tentatives de sociabilisations de Serei.

- C'est vrai qu'elle est vide cette piaule.

Je regrette déjà l'emploi du mot "piaule". Ça fait assez rustre, en fait. Je hausse les épaules et poursuis pour ne pas perdre contenance (enfin.... encore d'avantage !).

- Vous avez des idées de déco, vous ?

En disant ces mots, j'emprunte un air qui ne m'appartient pas et que j'ai calqué aux réactions de ma petite sœur, elle toujours si enjouée et sociable. Mais mes camarades de chambre ne connaissent pas ma sœur, alors cet air enjoué deviendra un peu mien.

- C'est vrai qu'elle est vide cette piaule. Vous avez des idées de déco, vous ?

Serei regarda les murs, une fois de plus, priant pour qu'une idée vienne lui illuminer l'esprit, et qu'ils aient autre chose à penser que la décoration de la chambre. Il se disait que ça lui ferait un bon point auprès de ses deux colocataires, et était très content à l'idée de pouvoir se faire bien voir, puisque c'était chose rare. Il y avait une très bonne alternative à la question : ils pouvaient aller dénicher quelques unes de ces grandes affiches de films, qu'ils exposent au devant des cinémas. Elles prendraient beaucoup de place, et feraient très certainement joli, en plus d'égayer la salle de mille visages, de couleurs... Peut-être même que ça les ferait rêver qu'ils sont perpétuellement dans un film ! Serei aurait énormément voulu parcourir des routes comme la trop connue Route 66, chevauchant une vieille moto du genre Harley Davidson, comme dans les films, clope au bec, lunettes de soleil, blouson en cuir... Dans ses pensées, il lui sembla même entendre un bruit de moteur. Pas vraiment le genre de bruit que ferait une Harley, plutôt celui...d'un estomac criant famine. Il tourna la tête vers le ventre dont provenait le son.

-Euh... Comment dire, je ne sais pas comment cette chambre pourrait être décorée mais ce dont je suis sur c'est que nous pourrions aller discuter de tout ça et faire plus ample connaissance autour d'un café et de quelque chose à manger ! C'est moi qui paye !

Serei rit discrètement à l'invitation de Noah, et se rendit compte que son estomac ne tarderait pas à faire de même s'il n'avalait rien. Aussitôt, il se leva, vida son sac de tous les jours sur son lit, prit son porte-feuille, ses cigarettes au chocolat, et remit son sac sur son épaule.

- Je te suis ! dit-il d'une voix enjouée. Je commençais justement à avoir faim, et mon ventre risque de bientôt faire le même bruit que le tien si je ne vais pas manger ! On va à la cafétéria ou dans un café à l'extérieur ? Ah et j'ai eu une idée pour la chambre ! Mais je ne sais pas si ce sera possible... Je crois que c'est du vol... J'en suis pas sûr...

- Euh... Comment dire, je ne sais pas comment cette chambre pourrait être décorée mais ce dont je suis sur c'est que nous pourrions aller discuter de tout ça et faire plus ample connaissance autour d'un café et de quelque chose à manger ! C'est moi qui paye !

Je souris à l'appel désespéré de l'estomac de Noah. Quelle joyeuse invitation est-ce là ? J'allais répondre quand l'enthousiasme de Serei me devance.

- Je te suis ! Je commençais justement à avoir faim, et mon ventre risque de bientôt faire le même bruit que le tien si je ne vais pas manger ! On va à la cafétéria ou dans un café à l'extérieur ? Ah et j'ai eu une idée pour la chambre ! Mais je ne sais pas si ce sera possible... Je crois que c'est du vol... J'en suis pas sûr...

J'attrape un sweet à capuche confortable et, enfouissant les mains dans mes poches, je me poste près de la porte. La perspective d'un petit casse-croûte me séduit. J'imagine déjà une bonne boisson chaude accompagnée d'un fier croissant.

- C'est bien pour vous que je me force, dis-je en riant pour leur signaler mon mensonge évident. Ecoute, puisque cette chouette initiative te revient, Noah, je te laisse maître de notre destination !

Clairement, je fanfaronne. Pour une des rares fois de ma vie de beau gosse refoulé, je me sens à l'aise avec des gens que je viens à peine de rencontrer. Je compte bien en profiter pour avoir l'air d'être cette partie de moi idéalisée que je me plais à inventer.
D'une main, que je sors fort opportunément de ma poche, j'attrape la poignée de la porte et la tourne. En avant !