J'ai traversé la cour déserte d'une traite, presque d'une même enjambée. Tant mieux. Si j'avais croisé quelqu'un, je crois que je l'aurais transformé miettes d'un seul regard. Sur mon passage, la porte du bâtiment a volé, heurté le mur et s'est refermée d'un bruit sec. Je suis tout entier ce bruit violent et sec que tout le monde semble ignorer. Il me semble que je pourrais hurler, personne ne se donnerait la peine de m'entendre. "Tiens, le vent souffle, il va y avoir de l'orage."

Comme un con, je suis entré dans les toilettes. Comme si mon corps exprimait le besoin d'expulser son dégoût, sa haine et sa rage. Dans cette pièce carrelée où le moindre son se répercute, j'ai cru pouvoir trouver du soutien, de la compagnie. Alors, je me suis adressé à mon reflet dans le miroir. Je me suis dit qu'il serait moins con que moi, qu'il aurait la décence de me regarder en face et de ne pas m'ignorer. Forcément, il a soutenu mon regard aussi longtemps que j'ai plongé le mien dans ses yeux troublés. Mais ce con n'est rien de plus qu'une image de moi vide de toute réalité. Il n'a aucun sens. Aucune répartie. Je me suis simplement retrouvé face à mon absence.

Par dépit, j'ai ouvert le robinet et je me suis aspergé la figure d'eau. Pour me laver de mes pensées stupides, un peu. J'ai le souffle court, un peu saccadé. Je tremble. C'est pitoyable de se mettre dans cet état. Là tout de suite, la seule chose que je voudrais, c'est aller me réfugier sur le toit. Mais j'ai bien trop peur d'y retrouver le doc'. Je ne voudrais pas qu'il me voie aussi risible. J'ai ma petite fierté et j'y tiens, aussi stupide que cela puisse paraître. D'un soupir je rappelle à l'ordre mes pensées évasives et m'éloigne du miroir pour aller m'adosser au carrelage glacé du mur, sous la petite fenêtre. Lentement, je me laisse glisser au sol, en laissant mon regard s'accrocher à une réalité imaginaire, loin, très loin de cette île pourrie. Ils ne pouvaient pas m'envoyer sur une île déserte ?! Ça aurait mieux valu.

Je ferme les yeux, mais ça n'éteint pas le feu à l'intérieur de ma tête. Il va me falloir un peu de temps, pour me calmer. J'espère que personne ne viendra me déranger. De toute façon, à cette heure-ci il y a cours. Et pour les sécheurs, le temps est si merveilleux que seul un abruti pouvait choisir de perdre son temps dans les chiottes de ce bâtiment.

Le soleil avait bien vite montré le bout de son nez ce matin. Serei en avait profité pour aller jouer un peu au bord de l'eau. Courir serait un terme plus juste, mais considérant qu'il n'avait pas couru "pour courir", la balade de ce milieu de matinée s'apparentait plus à de l'amusement qu'à des exercices sportifs. Le soleil tapait particulièrement fort à cette heure, et Serei avait du mal à se décider sur ce que ses rayons apportaient à ses bras dénudé ; il aimait beaucoup la chaleur de l'été approchant, mais sentait sa peau devenir brûlante, et cette brûlure lui traverser le bras jusqu'aux muscles. C'était quelque chose qu'il appréciait moins mais qu'il se disait capable d'endurer quelques minutes de plus pour faire le plein de vitamines D.

Serei s’était posé sur le sable, lunettes de soleil sur le nez, dans un coin isolé pour profiter du bon air et de l’absence de présence humaine. Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus endurer la chaleur battante du soleil qui se faisait de plus en plus forte. Le sang cognait contre ses tempes, ses veines traçaient de longs sillages bleus le long de ses bras… Il avait l’impression de sortir d’un intensif entrainement de basket. Il entreprit de marcher tranquillement jusqu’à la cafétéria de l’Université pour s’y rafraîchir, et fit un détour de dernier instant par les toilettes, histoire de se rincer le visage et de s’hydrater.
Il poussa doucement la porte des toilettes et glissa jusqu’au lavabo le plus proche, secouant la tête au son d’une mélodie inexistante. Il alluma l’eau, se lava les mains et s’aspergea le visage en évitant de trop en renverser sur le sol. C’est alors qu’il remarqua Teñval, en baissant la tête vers le carrelage pour se débarrasser des gouttes qu’il avait sur les cils. Assis sur le sol, sans faire de bruit. Serei jeta un œil à travers la vitre floutée qui laissait entrer un semblant de luminosité extérieure dans la salle, plissant les yeux, et se repencha sur son colocataire. Il remit machinalement ses lunettes et s’orna d’un immense sourire.

-Eh, Teñval !

Il avait senti sa voix faiblir, bien contre lui. Dénonçant selon lui un manque de confiance ou plutôt la preuve de ses faibles capacités à consoler quelqu'un. Il avait l'impression de voir quelque chose de lourd s'affaler sur les épaules du garçon. Il aurait voulu le tirer pour l'obliger à se lever, mais avait l'impression que ce geste ne serait pas forcément le bienvenu, vu l'état dans lequel se trouvait Teñval. Il s'accroupit à côté de lui, et sortit instinctivement les chocolats de son sac, en attrapa un entre ses dents et tendit le paquet à son voisin. L'ambiance, au travers de ses verres ombrés, lui sembla soudainement bien maussade et légèrement pesante. Il n'en perdit pas pour autant son sourire, et, essayant de rester le plus naturel et enjoué possible, sans trop en faire non plus, il commença à déblatérer sans calcul aucun ce qui lui traversait l'esprit.

- Il fait beau, pas vrai ? Je suis allé faire du sport au bord de la mer ce matin, mais j'ai vite abandonné : il fait trop chaud... J'espère qu'il y aura un peu de vent cet après-midi, on pourrait aller se promener. Prendre un jus de fruits dans un bar.

Serei se délecta de l'idée.

- Un bon jus de fruits bien frais, à la mangue et l'ananas, ça, ça ! c'est un bon plan, rit-il. J'adore les fruits oranges, les rouges sont trop acides, enfin, quand je dis oranges, bizarrement, je n'aime pas vraiment les oranges, mais les pêches, l'ananas, les clémentines, la mangue... Oh ! On pourrait même prendre une glace. En plus, évidemment, pas à la place, ce serait dommage de devoir choisir. Et marcher. Au bord de l'eau. Tu sais, j'aime beaucoup le vent de la mer, je le trouve un peu agressif, comme s'il essayait de me mettre des claques pour me réveiller, me dire "eh, bouge un peu, ne fais pas le mort !", tu vois ?

Serei conclut sur un sourire, et croqua dans sa cigarette chocolatée. Il fondait vite, et pourtant, il faisait bien plus frais dans les toilettes qu'à l'extérieur. Il se rappela à cet instant qu'ils étaient assis dans les toilettes. Étrange lieu de conversation qu'étaient la salle carrelée. Mais à quoi bon se poser des questions. Il se sentait bien, là, avec Teñval.

-Eh, Teñval !

En temps normal, j'aurais sans doute sursauté. Mais on n'était pas en temps normal. Le Teñval des mauvais jours a pris les commandes, et sous son emprise, je ne réponds pas à la voix qui a trouvé le courage de m'appeler.
Le type brave le climat hostile qui m'entoure pour venir se poster près de moi. Un warrior, le gars. Il ne se doute sûrement pas que je suis une bombe sur le point d'exploser. Il s'accroupit à mes côtés, et je l'entends fouiller son sac pour me tendre quelque chose.

- Il fait beau, pas vrai ? Je suis allé faire du sport au bord de la mer ce matin, mais j'ai vite abandonné : il fait trop chaud... J'espère qu'il y aura un peu de vent cet après-midi, on pourrait aller se promener. Prendre un jus de fruits dans un bar.

Il est barge, le mec. Il me prend pour qui ? Je sens la colère gronder en moi. Je bouillonne. Je ne comprends rien à ce qu'il me raconte, pourquoi il me dit ça. Il sort d'où ? Qui vient dans les toilettes pour dire qu'il a fait du sport ?

- Un bon jus de fruits bien frais, à la mangue et l'ananas, ça, ça ! c'est un bon plan, rit-il. J'adore les fruits oranges, les rouges sont trop acides, enfin, quand je dis oranges, bizarrement, je n'aime pas vraiment les oranges, mais les pêches, l'ananas, les clémentines, la mangue... Oh ! On pourrait même prendre une glace. En plus, évidemment, pas à la place, ce serait dommage de devoir choisir. Et marcher. Au bord de l'eau. Tu sais, j'aime beaucoup le vent de la mer, je le trouve un peu agressif, comme s'il essayait de me mettre des claques pour me réveiller, me dire "eh, bouge un peu, ne fais pas le mort !", tu vois ?

J'embraye sur le stade de pensée numéro deux. L'incompréhension. J'ai toujours les yeux fermés et je me dis tout à coup que c'est con, surtout dans cette situation. Il va croire que je dors ?
"Qu'est-ce que j'en ai à foutre, remarque ! C'est lui qui vient me déranger !"
Me déranger pendant mon introspection et ma jouxte avec mon propre reflet ? Pas bien glorieux tout ça..

Et puis, le déclic. Je voulais me fâcher avec quelqu'un. Montrer que j'existe, craquer, montrer que je suis nerveux et lunatique. Mais voilà, ce type là. Il me tend des chocolats. Des cigarettes en chocolat. Qui tend des cigarettes chocolatées ? Je ne connais qu'une seule personne armée de ces friandises.

Serei.

Mon voisin de plumard. Toute la colère se dissipe et voilà que je me trouve de plus en plus idiot à ruminer des plans diaboliques pour assassiner les visiteurs infortunés. Je rouvre les yeux, mais n'ose pas les diriger vers lui. Trop honte. Je suis assis dans les chiottes, minablement solitaire et fâché contre la terre entière. Je déglutis et passe la main d'un geste brusque dans mes cheveux, pour les ébouriffer, dans le maigre espoir de me donner contenance. Je me racle même la gorge, comble du ridicule.

- Fruits de la passion et cassis. Pour la glace.

J'attrape une cigarette en chocolat et croque dedans nerveusement. Je me retiens encore de glisser un coup d'oeil vers Serei. Avec un peu de chance, il n'aura pas vu que j'étais dans un état de délabrement pitoyable ? Je me gonfle d'espoir avant de me remémorer la scène qu'il a du voir en entrant dans les toilettes. Ok, gars, te fais pas d'illusions, tu parlais à un reflet dans le miroir. Et quand bien même il aurait échappé à cette vision, tu es adossé au carrelage de toilettes publiques, seul.
Je soupire et passe à nouveau une main frénétique dans mes cheveux déjà bien décoiffés.

- Et une citronnade, pour le jus. C'est indiscutable. T'en as déjà goûté ?

Serei songea aux endroits où il pourrait emmener Teñval pour lui changer les idées. Ce genre de situation lui arrivait rarement, il y avait toujours d’autres gens pour s’occuper de ceux qui allaient mal ou qui semblaient mal. Et quand c’était Serei qui essayait de faire bien, généralement, les choses se passaient bien, mais c’était tout. La suite : rien, puisque personne n’attendait vraiment de quelqu’un qui ne dit rien, qui est « trop » dans la lune, « trop » dans son monde. Puis surtout « trop » bizarre. Mais malgré cela, Serei préférait essayer, en espérant qu’il y ait un bon renvoi de bâton de la fatalité un jour.
C’est pourquoi il n’abordait pas les problèmes, ou plutôt, c’est pourquoi il n’en parlait même pas, comme s’ils n’existaient pas. Ce n’était peut-être pas le bon moyen pour aider les gens sur la durée, mais sur l’instant en tout cas, rien ne servait de rester à se morfondre. Qui plus est, Teñval ne voudrait peut-être pas se confier à Serei ; il prenait donc volontiers pour rôle en attendant celui du « gars gentil qui réconforte du mieux qu’il le peut ».
Toujours fixant face à lui, il continua à grignoter son morceau de chocolat, l’air de rien.

- Fruit de la passion et cassis. Pour la glace.

La réponse tira un sourire à Serei, qui vit le bras de Teñval se tendre pour enfin se servir dans son paquet de cigarettes au chocolat. Serei ne bougea pas, même après que la cigarette ait quitté son étui, pour que Teñval puisse se resservir si l’envie lui prenait. Quand il était petit, on lui avait souvent répété que le chocolat rendait heureux. Des études avaient prouvé que tel en était le cas, mais seulement après avoir mangé une tonne de chocolat. A vous donc de choisir entre vous contenter de quelques carrés, ou bien tenter d’atteindre un bonheur certain avec en prime une indigestion. Pourtant, il mangeait énormément de chocolat, se fit remarquer Serei. C’était peut-être à cause de cela que Serei était un peu simplet. A force de manger trop de chocolat… Tout devenait un peu plus clair d’un coup.

- Et une citronnade, pour le jus. C’est indiscutable. T’en as déjà goûté ?

Serei leva la tête vers son interlocuteur et rigola.

- Je crois que oui, mais je préfère vraiment les jus de fruits consistants, tu sais, qui ne sont presque pas…aussi liquides que de l’eau, tu vois ? Avec un peu de texture, mais pas trop non plus, que ça puisse se boire quand même.  Et puis…

Serei fit non de la tête en se mordant les lèvres, retenant un sourire. Quoi de mieux que de manger quelque chose de si bon avec un temps pareil ? C’était un peu l’équivalent du chocolat bien chaud au coin du feu lors de rudes hivers, enroulé dans un gros pull… Il se sentit soudainement très niais, et commençait à craindre que ce comportement ne rebute Teñval qui, même s’il avait l’air d’être une personne du genre à faire des efforts devant autrui, semblait ne pas être dans son assiette. Et Serei s’imaginait bien que la conversation entre d’un côté quelqu’un qui se promène avec sa joie et de l’autre un type qui a plutôt les idées noires pouvait vite devenir ennuyeuse pour la deuxième personne. Pour la première aussi évidemment, mais Serei n’était pas certain de pouvoir se rendre compte du moment où il devenait ennuyeux pour l’autre. Il remballa discrètement son sourire et sa passion des jus de fruits des beaux jours, se redressa un peu et continua à manger son chocolat.

- Tu n’avais pas cours ce matin ?

Fut la première question qui lui vint à l’esprit. Il regretta de ne pas savoir tenir davantage sa langue et de réfléchir un peu plus avant de parler. « Les cours ». Pas besoin de détester ça pour savoir que ce n’était pas le sujet à aborder, quel que soit le temps.

- Je vais rarement en cours en vérité, chuchota-t-il comme pour confier un secret dont sa vie dépendait. Je préfère me promener, ou aller dans le gymnase, j’y passe plus rapidement le temps, et je trouve ça plus utile. J’aime bien les mathématiques par contre, même si je suis très nul pour tout ce qui demande de la logique. Je suis nul en littérature aussi, puis en histoire, je te raconte pas… Je voulais être musicien quand j’étais petit, mais je ne suis pas assez doué de mes doigts pour tenir un instrument ET en jouer, et je ne sais pas faire deux choses différentes de mes deux mains non plus, donc je ne peux pas jouer de piano, ou seulement d’une main, en somme. Le dessin, ou les matières artistiques –il fit un grand geste de sa main droite pour exprimer « l’Art »-, je suis nul aussi. Je fais du basket. C’est mieux, et puis ça me détend.
Serei se leva d’un bond et recula pour avoir de l’espace autour de lui. Il coinça sa cigarette entre ses lèvres et pointa son index sur la porte des toilettes, au hasard.

- Allez ! On se lève et on va dehors, ce sera toujours mieux que de rester enfermés. Allons chercher de quoi nous régaler à la cafétéria, et nous irons déambuler dans le parc, si ça te tente !

J'ai beau retourner la question dans tous les sens, j'en reviens toujours à la même conclusion. Le meilleur des jus, c'est bel et bien la citronnade. J'aime ce liquide acide qui picote mes papilles affolées. On met du piquant dans sa vie comme on peut, hein ? Ou peut-être est-ce du "piment" pour être plus exact. Lyss m'en préparait, avant. Un grand verre de citronnade faite maison, pour me désaltérer des après midis bien remplies d'enfant rêveur, comme la récompense d'un aventurier qui revient de loin. Le soleil de ces souvenirs chauds vient me chatouiller les paupières et je cligne des yeux.

- Je crois que oui, mais je préfère vraiment les jus de fruits consistants, tu sais, qui ne sont presque pas…aussi liquides que de l’eau, tu vois ? Avec un peu de texture, mais pas trop non plus, que ça puisse se boire quand même. Et puis…

Je me demande ce qu'elle est devenue, Lyss. Ça fait si longtemps qu'elle a cessé de m'écrire. Je lui en ai voulu, parce que je me suis dit qu'elle m'avait abandonné. Mais maintenant, j'ai pris conscience que ce n'était que des pensées de gamin en mal d'affection. J'étais juste un gamin.

- Tu n’avais pas cours ce matin ?

Je sursaute. Les toilettes. Le chocolat. Serei. Ah oui. J'avais oublié.
Je fronce les sourcils, et le coin de ma bouche se soulève pour former la grimace parfaite du mec contrit pris sur le fait. Oups.

- Je vais rarement en cours en vérité, chuchote-t-il comme pour confier un secret dont sa vie dépendait. Je préfère me promener, ou aller dans le gymnase, j’y passe plus rapidement le temps, et je trouve ça plus utile. J’aime bien les mathématiques par contre, même si je suis très nul pour tout ce qui demande de la logique. Je suis nul en littérature aussi, puis en histoire, je te raconte pas… Je voulais être musicien quand j’étais petit, mais je ne suis pas assez doué de mes doigts pour tenir un instrument ET en jouer, et je ne sais pas faire deux choses différentes de mes deux mains non plus, donc je ne peux pas jouer de piano, ou seulement d’une main, en somme. Le dessin, ou les matières artistiques –il fait un grand geste de sa main droite pour exprimer « l’Art »-, je suis nul aussi. Je fais du basket. C’est mieux, et puis ça me détend.

Il me dit tout ça d'un air si enjoué, amusé. Amusant. Rafraîchissant, même. Je souris en entendant son appréciation des mathématiques. Oh moi, je n'ai pas vraiment d'avis sur les matières scolaires. A vrai dire, j'aime la géométrie, sans aimer apprendre par cœur des formules si peu littéraires. Et je n'aime pas la littérature qui s'évertue à exprimer des choses sans les dire, comme si ça ne suffisait pas de tourner autour du pot dans la vie de tous les jours. Mêmes les écrivains lorsqu'ils se livrent à leurs écrits ne sont donc pas capables d'être honnêtes ? L'histoire, je l'apprécie tant qu'elle reste dans les livres illustrés et qu'elle ne cherche pas dans mon esprit quelque appréciation. Quant à la géographie, je n'y prends plaisir que lorsqu'il faut colorier des cartes. Mais c'est bien là mes seules capacités artistiques néanmoins. Bref, l'école, j'y vais sans y aller vraiment au fond.
Je chasse ses pensées. J'suis un peu con parfois. Ça, c'était au lycée. Maintenant, je me retrouve coincé sur les bancs de la fac à me faire oublier du système scolaire. Je ne saurais même pas dire le nom complet de ma formation.

D'un coup, Serei se lève et désigne la porte des toilettes.

- Allez ! On se lève et on va dehors, ce sera toujours mieux que de rester enfermés. Allons chercher de quoi nous régaler à la cafétéria, et nous irons déambuler dans le parc, si ça te tente !

Un peu brusqué dans mes pensées éparses, je le regarde comme on regarde le soleil trop éblouissant. Je me concentre quelques secondes pour évaluer la situation. Cafétéria, puis parc. Calcul de l'itinéraire. Le chemin se fait dans mon esprit et lumière, je réalise.

- Ça a tout de suite plus de gueule qu'une après midi dans les toilettes, c'est clair !

Tentative d'humour assez médiocre certes, mais pas plus que ma situation initiale dont je cherchais à me dépatouiller.

- Ils ont les jus dont tu rêves à la cafète ?

Haussement d'épaules.

- Sûrement remarque. Je crois que j'ai atterri sur l'île de Crésus, tout semble si friqué ! On est peut-être sur une autre planète ou dans une autre dimension.

Mais je crois que je m'égare encore. Zut. J'interroge Serei du regard, anxieux de sa réaction.

Teñval avait l'air un peu perdu, comme tiré de ses pensées. Serei espérait qu'il accepterait la balade proposée, et surtout qu'il n'était pas trop lourd. Serei avait toujours peur de peser sur les épaules des autres, d'être encore "trop étrange" et donc de ne pas être le genre de personne avec lesquelles on avait envie de passer son temps, surtout quand on était d'humeur maussade.

- Ça a tout de suite plus de gueule qu'une après-midi dans les toilettes, c'est clair !

Serei répondit d'un sourire à la réplique de son voisin de chambre, content qu'il ait l'air emballé par sa proposition. En espérant quand même qu'il ne force pas sur l'engouement ; Serei était vraiment joyeux à l'idée de passer un après-midi en compagnie de Teñval. Ou autrement que seul, mais ce n'était pas forcément le genre de chose que Serei pouvait s'avouer sans se sentir coupable d'agir pour lui plutôt que pour ses camarades.

- Ils ont les jus dont tu rêves à la cafète ?

Bonne question. Mais Julien avait de tout, non ?

- Sûrement remarque. Je crois que j'ai atterri sur l'île de Crésus, tout semble si friqué ! On est peut-être sur une autre planète ou dans une autre dimension.

Serei baissa lentement les yeux vers Teñval, surpris, légèrement, de sa réaction, et surtout de sa remarque. Mais c'était vrai, au fond, qu'il n'avait jamais eu de soucis d'argent, en ne faisant quasiment rien pour avoir les moyens de se nourrir. La bourse étudiante sans doute, et le fait que Serei dépensait peu, puisqu'il passait une grande majorité de son temps libre à jouer au basket dans le gymnase.
Il se souvenait néanmoins d'un homme qu'il avait croisé quelques fois, très rarement depuis ces derniers temps. Qui n'avait semblablement pas d'appartement, qui mendiait parfois dans la cour de l'université. Mais celui-ci, hormis l'état de délabrement de sa tenue, n'avait pas l'air de manquer tant d'argent que cela. Serei ne l'avait jamais croisé à moitié mort de faim ou même quémandant réellement de l'argent ou de la nourriture à ses pairs.
Il sourit de nouveau à Teñval et lui proposa d'ouvrir la marche, lui tenant la porte des toilettes :

- L'idée d'une autre planète ma plaît bien...!

Heureusement, Serei est bon comédien et sourit à ma réplique bidon. Je me détends un peu et m'accorde le droit de répondre à son sourire. Je dois avoir l'air d'être un mec coincé, c'est fou. Pour me punir d'être si pénible, je me mordille la lèvre.

- L'idée d'une autre planète me plaît bien...!

Je le remercie mentalement de jouer le jeu et de ne pas me laisser tomber. Ce gars, il est vraiment chouette. Pas comme celui que j'ai croisé l'autre jour dans la rue commerçante. Serei au moins me laisse croire que je suis son égal et que l'on peut décemment discuter.

- Au fait, tu voulais aller à la cafète ou acheter toutes ces victuailles dans la rue commerçante ?

Je me sens con de ne pas m'être posé la question plus tôt. Je ne suis pas beaucoup sorti de l'université depuis que je suis arrivé, et je crains que cela ne se voit, avec ce genre de réaction. Moi qui voulais devenir quelqu'un de sociable. Je ris intérieurement. Aucune chance que j'y parvienne à la hauteur de mes espérances.

Serei tient la porte des toilettes, attendant que je me décide à sortir. Je m'empresse donc de quitter les lieux.